6 Novembre 2015
Après trois ans d'absence discographique, Mylène Farmer publie Interstellaires, son dixième album. La star fait peau neuve avec de nouveaux collaborateurs, dont Sting et le producteur américain Martin Kierszenbaum. Un disque qui s'avère être son plus grand virage musical depuis Anamorphosée en 1995.
Depuis la sortie de Monkey Me en 2012 et la tournée Timeless 2013, Mylène Farmer a retrouvé sa discrétion légendaire, faisant à peine une apparition au vernissage de l'exposition des photos prises avec Sylvie Lancrenon. Au mois d'août, la chanteuse dévoile un duo avec Sting, Stolen Car, qui s'accrochera deux semaines en têtes des ventes de singles. Après deux mois d'un habile jeu marketing et d'un teasing parfaitement huilé, un deuxième titre (Insondables) est dévoilé dix jours avant la sortie de l'album Interstellaires, qu'elle a écrit et composé aux côtés du producteur américain Martin Kierszenbaum (Lady GaGa, Madonna, Natalia Kills, Tatu).
Court (40 minutes), ce nouveau disque compte onze pistes, dont deux reprises, Stolen Car de Sting en duo avec ce dernier sur une production de The Avener et I want you to want me de Cheap Trick, déjà reprise il y a quelques années par Gary Jules, avec qui Mylène a partagé deux titres sur sa dernière tournée (Mad World et Les mots). Les textes sont, comme d'habitude, signés par la chanteuse qui a composé neuf morceaux en collaboration avec Martin Kierszenbaum, patron de Cherry Tree (Sting, Robyn, Cœur de Pirate…) qui distribue Interstellaires à l'international.
Ce qui tape à l'oreille à la première écoute, c'est la modernité des sons et l'évolution de sa musique, contraste d'autant frappant que son prédécesseur Monkey Me, en dépit de sa qualité, sonnait extrêmement daté années 80/90 et avait rencontré un petit peu moins de succès que ses prédécesseurs (400 000 ventes tout de même). Laurent Boutonnat a composé la totalité de l'œuvre de Farmer – à l'exception du merveilleux Bleu noir – et a construit avec sa muse une carrière hors du commun, mais il semblait depuis quelques années perdu dans des arrangements moins inspirés. Avec Martin Kierszenbaum, Mylène Farmer semble avoir trouvé un bel équilibre entre sonorités typiques de son univers et de nouveaux sons, plus modernes, sans pour autant se renier et copier les popstars américaines. D'ailleurs, Kierszenbaum n'a pas produit les chansons les plus connues de Lady GaGa ou Tatu. Après plusieurs années passées à explorer des arrangements électroniques, la star française revient ici à plus d'instruments et à des productions lorgnant plus vers la pop-rock d'Anamorphosée (1995) et les nappes planantes de Bleu noir (2010). Globalement, le disque est aussi le plus lumineux depuis le cultissime Anamorphosée qui opérait déjà en son temps un virage musical.
L'ouverture du disque avec la plage-titre Interstellaires est punchy, rappelant Vertige (1995) et donnant le ton d'un disque tourné vers de nouveaux cieux. Dans ses textes, on retrouve l'idée de l'espace et de mouvement : "Voir l'espace / Rêver d'un ailleurs / Recommence dans un monde meilleur", "Dans la voie lactée ourlée de mystère / M'y plonger dedans", "Ballade / Astrale (…) Je m'évade (…) Décolle / Je m'envole"… L'ensemble est varié, entre pistes rock mid-tempo (Love Song, City of love), titres up-tempo (C'est pas moi, Pas d'access) et langoureuses ballades (Un jour ou l'autre, I want you to want me, Insondables). Désormais tournée vers la lumière, la chanteuse n'en oublie pas ses vieux démons (le temps qui passe, la mort) mais semble porter sur eux un regard plus apaisé. A 54 ans, elle signe un album plus direct, plus resserré (11 chansons en 40 minutes) et qui apparaît comme le reflet de celle qu'elle est, débarrassée de certaines afféteries.
L'ALBUM TITRE PAR TITRE :
INTERSTELLAIRES
"Rocklène" is back ! Dans la veine de l'ère Anamorphosée (notamment Vertige), ce morceau d'ouverture est particulièrement efficace. Des envolées dignes de ce projet "interstellaire" et un single potentiel, ou en tout cas une belle introduction pour un éventuel prochain concert. On pense aussi au travail de Martin Kierszenbaum pour le groupe russe Tatu. Toutes guitares dehors, la chanteuse est de retour à un son plus acoustique, sans oublier des petites touches électro.
STOLEN CAR (en duo avec Sting)
Premier single extrait de l'album, produit par The Avener. Une mélodie efficace, un joli texte franco-anglais. Réussite et rencontre inattendue avec le chanteur britannique. Les guitares se marient parfaitement aux arrangements électro-pop du DJ français. Le lead-single le plus efficace depuis longtemps, exception faite du tube Oui mais… non.
A REBOURS
Le coup de cœur de cet album pour beaucoup de fans. Sous l'influence de Gainsbourg, peut-être, avec ses couplets parlés truffés de jeux de mots et ses envolées au piano. Les refrains sont d'une douceur envoûtante et font de ce mid-tempo une des meilleures surprises de ce disque.
C'EST PAS MOI
Une incursion un peu funk pour le deuxième coup de cœur de nombreux fans. Au fil d'un texte simple mais efficace, la star expose sa singularité et son ennui face à la tiédeur ("Dieu vomit les tièdes" déclarait-elle déjà dans les glorieuses années 80). Chanson festive qui a tout pour devenir un classique sur scène. Il serait incompréhensible de ne pas exploiter en single ce tube en puissance.
INSONDABLES
Une étonnante ballade électro-acoustique au texte simple et sombre. La plus courte piste (2'37) de ce disque. La voix est mise en avant sur ce morceau planant. Pas si minimaliste, la production soignée laisse entendre de nombreuses couches d'instruments.
LOVE SONG
Ballade rock puissante. "Aux nuits consumées, aux solitaires" chante celle qui a longtemps écrit sur son rapport à l'autre. Un single possible avec sa mélodie ultra efficace et son texte si "farmerien" ("Pas un hiver qui ne saigne"…).
PAS D'ACCESS
Il s'agit là du seul titre vraiment électro de l'album, qui rappelle le travail de Martin Kierszenbaum avec Lady GaGa (I like it rough) et Madonna (Holy Water). Le refrain "Il n'y a pas d'access" rappelle "Il n'y a pas d'ataxie", un passage de l'OVNI Effets secondaires paru en face B de Je te rends ton amour en 1999.
I WANT YOU TO WANT ME
Seconde reprise de cet album, une chanson du groupe de rock américain Cheap Trick datant de 1978 et interprétée par Gary Jules, nouvel ami de Mylène, au début des années 2010. Un écrin d'une douceur intemporelle. La voix se brise parfois dans une émotion palpable. Une future ballade piano-voix pour sa prochaine tournée ?
VOIE LACTEE
Intro étonnante qui rappelle Vanessa Paradis et semble reprendre un riff de guitares des Clash (Rudie can't fail). Couplets étonnants dans un style nouveau et refrain qui allie belle mélodie et arrangements punchy. Un single en vue ?
CITY OF LOVE
Hymne pop-rock à l'image de la "nouvelle" Mylène, tournée vers la lumière. Elle nous propose, entre rock et piano à la Moby, de bâtir la ville de l'amour. Quelques faiblesses dans le texte mais un morceau très efficace.
UN JOUR OU L'AUTRE
Comme d'habitude, une ballade poignante referme le disque. C'est ici l'une des plus belles réussites de cet opus, avec de nombreux instruments et des influences celtiques. Comme un cousin de L'amour naissant (morceau d'ouverture d'Innamoramento) et de Il n'y a pas d'ailleurs (album L'autre…), cet hymne déchirant donne des frissons. Une inondation lacrymale est à prévoir lors de sa prochaine tournée si ce titre est interprété.