2 Décembre 2012
Mylène Farmer publie Monkey Me, le neuvième album studio de sa carrière. Chaque disque de la star crée l'événement et celui-ci est, encore une fois, très attendu. Entre pop-rock eighties et électro, la chanteuse reste dans le sillon qu'elle trace depuis près de trente ans. Avec quelques surprises néanmoins.
A peine deux ans se sont écoulés depuis Bleu noir, le dernier album de Mylène Farmer, vendu à 500 000 exemplaires et porté par le tube Oui mais…non (lire l'article du 6 décembre 2010). Sur le précédent disque, elle avait travaillé avec Moby, Archive et RedOne, délaissant temporairement son complice Laurent Boutonnat. Elle le retrouve pour la première fois depuis Point de suture (2008) pour les douze chansons qui composent ce neuvième opus. Annoncé en septembre dernier, en même temps que l'ouverture de la billetterie pour sa prochaine tournée Timeless 2013, Monkey Me a été précédé d'un premier single, A l'ombre, dévoilé le 22 octobre. Après avoir distillé les infos au compte-goutte durant le mois de novembre pour finir au JT de Claire Chazal la veille de la sortie, Mylène Farmer dévoile enfin son album.
Premier single, A l'ombre est accompagné d'un clip somptueux de Laurent Boutonnat qui s'inspire du travail du plasticien et vidéaste Olivier de Sagazan. On retrouve des clins d'œil à des clips légendaires de la star (la meute de loups de Beyond my control, le visage maculé de boue dans Ainsi soit je…, l'esthétique clownesque gothique de Sans contrefaçon, la chorégraphie des danseurs du récent Oui mais…non). A travers ces jeux de masques et de boue, Laurent Boutonnat parle de la déshumanisation, de la déchéance, mais aussi des masques que l'on porte, quand on est "l'ombre de soi-même". Mylène Farmer se montre sous un jour plus terrien, mais aussi plus sensible aux ravages du temps, et c'est la nouveauté de ce clip.
Le disque s'ouvre, avec Elle a dit, sur la voix de la chanteuse, sans introduction. Poursuivant la production de Bleu noir, Mylène Farmer met sa voix en avant comme jamais. Fini le temps où les détracteurs la raillaient parce qu'on ne comprenait pas toujours ce qu'elle chantait. Elle a travaillé, et sa voix n'a jamais été aussi posée. Pour tout ce disque, la chanteuse va synthétiser ce qu'elle fait depuis trente ans. On pense à Point de suture pour la production, mais aussi à Cendres de lune ou Innamoramento pour certains titres (A-t-on jamais, Monkey Me). Quant aux textes, il y a une révolution, déjà sous-jacente dans Point de suture et amorcée dans Bleu noir : malgré les références sombres et les tourments, l'écriture de la chanteuse est apaisée, solaire et même joyeuse parfois. "A force de mourir / Je n'ai pas su te dire / Que j'ai envie de vivre / Donner l'envie de vivre" dit-elle dans A force de… Qui aurait cru cela il y a seulement dix ans ? Elle ne renie cependant pas ses vieux démons ("Héritière / Passagère / De mes jours maudits / Ca je le suis" sur Je te dis tout). Et comme toujours, elle n'a pas son pareil pour chanter des textes graves si des musiques légères. C'est le cas sur Elle a dit, Monkey Me ou Tu ne le dis pas.
Comme d'habitude, Mylène Farmer a écrit la totalité des textes et Laurent Boutonnat s'est chargé des musiques. Si les mélodies imparables restent la marque de fabrique du tandem, certains arrangements de Boutonnat sont un peu datés, notamment les synthés sur les intros de A l'ombre, J'ai essayé de vivre ou A force de… Le saxophone, élément indispensable des années 80, fait son retour sur plusieurs chansons (comme dans le dernier disque de Benjamin Biolay d'ailleurs). Mais la star n'a jamais cherché à suivre une quelconque mode et ses productions sont d'une cohérence rare. Les fans auront autant d'arguments pour aimer que les détracteurs pour détester. Et justement, la chanteuse semble vouloir s'adresser particulièrement à son public si fidèle, à qui elle dédie clairement une chanson (J'ai essayé de vivre…) où elle chante "On s'est dit 'ensemble / Si c'est là ton voyage' (…) Moi j'ai tant voulu d'autres / Ave / Milliers d'âmes anonymes / Ave (…) Es-tu un rêve / Es-tu un frère / Et je manque d'air / Quand tu m'oublies". Dans Ici-bas, elle lui dit "Partager mon spleen / Et m'étourdir est bon / Je pense à nos âmes / Qui s'élèvent (…) Exauce-moi oh j'existe / Pour qu'on m'aime". Ce dialogue avec son public, elle le confesse dans une interview, elle est "bouleversée" de l'entretenir depuis près de trente ans : "C'est un véritable cadeau et une responsabilité aussi. On ne veut pas décevoir ni se décevoir" déclarait-elle en novembre. On se demande néanmoins, en écoutant la chanson Monkey Me, si elle n'essaie pas de se défaire de l'image sombre et du personnage qui lui colle à la peau.
Le disque est globalement up-tempo, avec deux ballades telles que le duo sait les faire. Le cru 2012 est particulièrement réussi. Quand sonde les méandres de l'amour qui s'éteint et Je te dis tout referme l'album avec majesté sur le thème de l'amour fou. Aux côtés de ces perles, on croise du très bon (A force de…, A-t-on jamais, A l'ombre, Elle a dit, Monkey Me), du bon (Tu ne le dis pas, J'ai essayé de vivre…) et deux titres plus banals (Ici-bas et Love Dance). La grosse surprise est Nuit d'hiver, qui revisite une de ses premières chansons, la comptine macabre Chloé (1985) dont elle reprend en boucle quelques mots (Hey Oh, ce matin, y a Chloé qui s'est noyée") dans une production électro sombre, gothique et qui rappelle l'atmosphère des premiers disques Cendres de lune (1986) et Ainsi soit je… (1988). Un vrai bijou qui pourrait être l'ouverture de la prochaine tournée. Pour l'exploitation du disque, quelques titres se détachent comme singles potentiels : Elle a dit, Tu ne le dis pas, A-t-on jamais et Je te dis tout si une ballade doit être promue.
Avec Monkey Me, Mylène Farmer offre un disque résolument personnel, peut-être le plus intime. Elle revient sur ses motifs de prédilection, revisite son propre répertoire et avance à visage découvert comme jamais. Elle évoque le poids que peut être son personnage public dans plusieurs morceaux, dont Monkey Me. L'album est plus profond que son apparente légère dansante. Le thème du temps qui passe, et qui détruit tout, hante un disque qui explore comment on gère le vieillissement et la perte des êtres chers inhérente à l'avancée en âge. Parallèlement, on écoute une femme de 51 ans apaisée, qui a trouvé l'amour et le goût de vivre. Monkey Me est peut-être un point d'orgue des (presque) trente ans de carrière de la star, la confirmation d'un univers hors mode dont elle n'est jamais sortie, quitte à perdre le grand public au passage. Timeless, le nom de sa prochaine tournée, prend tout son sens.
L'album Monkey Me, titre par titre.
ELLE A DIT
Le premier titre frappe fort, avec le thème de la marginalité et de la difficulté d'assumer sa différence. Au fil des paroles, on comprend qu'il s'agit d'une jeune fille différente et rejetée. A la fin de la chanson, il semblerait que Mylène suggère qu'elle est homosexuelle ("Elle aime une fille"). C'est la première fois que la chanteuse aborde frontalement la question. Peut-être a-t-elle été inspirée par le débat houleux sur le "mariage pour tous", qu'elle soutient dans le numéro de décembre de Têtu. Elle a dit pourrait cependant tout aussi bien être un autoportrait de la chanteuse, souvent incomprise et rejetée par le système. Un titre terriblement efficace et bien produit. Une référence au mélodrame italien des années 60, L'incompris, de Luigi Comencini, qui traite du deuil de deux enfants face à la mort de leur mère. Futur single évident.
A L'OMBRE
Dévoilé plus d'un mois avant la sortie de l'album, c'est le lead-single. Malgré l'intro au synthé un peu datée, le morceau est dans la plus grande tradition du tandem Farmer-Boutonnat. Un refrain à la mélodie accrocheuse avec ses envolées lyriques. Le texte est parmi les plus émouvants du disque. Un lead-single réussi.
MONKEY ME
C'est la chanson qui donne son nom à l'album. Elle s'inscrit dans la lignée de Dessine-moi un mouton ou Paradis inanimé. C'est la pièce pop-rock du disque, avec ici de l'autotune sur la voix de Mylène dans le refrain. On connaît la passion de la chanteuse pour les singes et on apprécie le clin d'œil. Double personnalité, personne publique et personne privée. On aimerait que ce soit un single, mais en général la star choisit plutôt ce type de morceau pour promouvoir ses albums live.
TU NE LE DIS PAS
C'est un des textes les plus sombres du disque. "Mais où va le monde ? / Mais où est ma tombe ?" chante Mylène Farmer. Sur une production dance dans la veine de l'album Point de suture, elle énonce tout ce qui s'écroule et ponctue cette énumération de "Tu ne le dis pas". On pense à C'est dans l'air pour la structure. Une mélodie et une production électro assez addictive pour, là encore, un single assez évident.
LOVE DANCE
C'est un titre très commenté et qui divise. Mylène Farmer ne se prend pas au sérieux ici. Sur une musique très eurodance, elle chante des allitérations alternant le français et l'anglais : "Do you love me / Love me do / Me do love you / Me too". Les "la la la la la" du refrain feront mouche sur scène si elle choisissait de l'interpréter en live (pas sûr néanmoins) mais Love Dance reste le titre le moins intéressant de ce disque. Une parenthèse un peu trop bubble-gum, pas honteuse aux yeux de la production actuelle mais on attend mieux de Mylène Farmer.
QUAND
Dévoilée sous la forme d'une lyrics video une dizaine de jours avant la sortie de l'album, c'est la première ballade. Là où le premier single avait divisé, ce morceau a mis tous les fans d'accord. Arrangements somptueux, mélodie envoûtante, texte mélancolique et poétique, Quand est sur le podium des chansons de ce disque. Le pont au saxo est inattendu et beau. La voix est parfaitement posée et très belle. Un grand moment en perspective pour le concert.
J'AI ESSAYE DE VIVRE…
Chanson explicitement en hommage à son public. "Danser sans cesse / Au bord du gouffre / Pourtant l'ivresse / Comme un 'entre nous' (…) / On s'est dit 'ensemble / Si c'est là ton voyage' (…) A vous peut-être / Je dirai tout". Les arrangements sont pop-rock et la mélodie efficace, on pense à la période L'autre... (1991). Mylène Farmer donne ici l'exemple typique de sa nouvelle écriture : directe, apaisée et resserrée.
ICI-BAS
Le texte pourrait s'adresser autant à son amoureux qu'à son public. D'ailleurs, n'a-t-elle pas emprunté dans le passé à Barbara la phrase "Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous"… La production pop est sympathique mais le titre ne décolle jamais complètement. Une chanson agréable mais pas inoubliable.
A-T-ON JAMAIS
C'est le titre le plus proche de son précédent disque, Bleu noir. Laurent Boutonnat s'est sûrement inspiré du travail de Moby ici, bien que l'on retrouve aussi les sonorités de la période Innamoramento. C'est aussi un texte plus mélancolique avec un long Allelujah sur le refrain et les premières notes sur : "A-t-on jamais les mots / Pour se convaincre d'oublier ? / Marcher vers l'échafaud / Où faut-il se réfugier ?" Une très belle chanson, qui rappelle en même temps et tour à tour L'amour naissant, Souviens-toi du jour…, Réveiller le monde et Toi l'amour. Décidément, plus on avance, plus ce Monkey Me est une réussite. Il s'agit là d'un possible futur single.
NUIT D'HIVER
A chaque album, son titre ovni. De Psychiatric à Alice en passant par The Farmer's conclusion, le tandem Farmer-Boutonnat s'amuse à une expérimentation dans chaque opus. Nuit d'hiver est un morceau quasiment instrumental, à la production sombre et électronique. On entend du vent, des loups et une flûte de pan, comme dans les premiers clips de la star. D'ailleurs, les seules paroles, répétées en boucle, sont extraites de Chloé, l'un des premiers titres, enregistré par la chanteuse, en 1985. Le résultat est enthousiasmant, à la hauteur de la surprise, la plus grande de ce disque. Ce serait une ouverture parfaite pour la prochaine tournée.
A FORCE DE…
Le synthé de Boutonnat résonne une dernière fois avec que Mylène Farmer n'entame un chant autotuné, pourtant d'une pureté troublante. Le refrain est d'un rare volontarisme : "A force de mourir / Je n'ai pas su te dire / Que j'ai envie de vivre / Donner l'envie de vivre (…) A force d'étincelles / Que la nature est belle / Moi j'ai envie de vivre / Et de mourir sans chaînes". La chanson est à la fois un cri de désespoir et un hymne à la vie déchirant. On ressent les obstacles que la vie met sur nos chemins, la difficulté de garder l'envie de vivre. Mon coup de cœur personnel.
JE TE DIS TOUT
Traditionnellement, presque tous les albums de Mylène Farmer se terminent par une ballade. Ici, avec un piano grave, des arrangements que le groupe Archive n'aurait pas renié pour Bleu noir, le duo signe la plus belle chanson du disque. Le texte est à lui seul un résumé de l'univers de la chanteuse, entre déclaration d'amour, démons du passé et poésie gothique : "Héritière / Passagère / De mes jours maudits / Ca je le suis (…) Si d'aventure / Je quittais terre / Tu es mon sang / Mon double aimant / Mon ADN / Et sur ton pull / Je broderais 'M' / Pour que nos sangs / Se mêlent au vent / Mon ADN". Cette chanson peut tout aussi bien s'adresser à son amoureux, à sa mère (malade) ou à un enfant… On frissonne déjà à l'idée de l'interprétation live qu'elle en donnera. Monkey Me ne pouvait pas mieux se refermer.
...HB...