Critiques ciné et autres.
28 Mai 2015
Présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs 2015, L'ombre des femmes, le nouveau film de Philippe Garrel, figure parmi ses plus belles réussites. Une nouvelle variation sur le sentiment amoureux et les trahisons, avec un grand sens de l'épure et de l'organique.
Pierre et Manon sont pauvres. Ils font des documentaires avec rien et ils vivent en faisant des petits boulots. Pierre rencontre une jeune stagiaire, Elisabeth, et elle devient sa maîtresse. Mais Pierre ne veut pas quitter Manon pour Elisabeth, il veut garder les deux. Un jour Elisabeth, la jeune maîtresse de Pierre, découvre que Manon, la femme de Pierre, a un amant. Et elle le dit à Pierre… Pierre se retourne vers Manon parce que c’est elle qu’il aimait. Et comme il se sent trahi, il implore Manon et délaisse Elisabeth. Manon, elle, rompt tout de suite avec son amant. On peut supposer que c’est parce qu’elle aime Pierre.
Philippe Garrel continue d'explorer le mystère du sentiment amoureux avec son nouveau film, qui offre comme une correspondance avec son précédent, La jalousie (lire l'article du 13 décembre 2013). Même noir et blanc, même couple rongé par les mensonges, mais ici, encore, plus que sur les autres films, pas d'afféterie. En 1h10, le cinéaste va directement dans la chair du sujet, au plus près de l'os. Pierre aime Marie mais la trompe, comme le font les hommes, pense-t-il. Lorsqu'il apprend qu'elle le trompe aussi, ses certitudes s'effondrent.
Ecrit avec Arlette Langmann, comme la plupart de ses dernières réalisations, et le prestigieux Jean-Claude Carrière, ce nouveau film est peut-être le plus féministe de son auteur. Cette "ombre des femmes" est la place qu'on leur accorde traditionnellement, dans le cinéma comme dans les relations amoureuses. Marie est l'assistante (monteuse, scripte) de Pierre dans la réalisation de ses documentaires, elle vit dans son ombre, en "grande amoureuse", ne considérant pas son dévouement comme un sacrifice mais comme un acte d'amour. En creux, mais dans le cœur du film, un vieil homme raconte pour le film de Pierre se souvenirs de résistant, alors que sa femme, à ses côtés, dans l'ombre elle aussi, sert des boissons et des gâteaux. Dans la petite histoire comme dans la grande, amour et trahisons se mélangent et cela donne une force inattendue au récit.
Stanislas Merhar, trop rare, est épatant, et Clotilde Courau tient là son plus beau rôle, elle qui s'est mise à l'écart du cinéma depuis son mariage princier, un peu comme l'héroïne du film en somme. Les femmes sont d'ailleurs les véritables héroïnes ici, à l'intelligence émotionnelle si grande qu'elles acceptent la lâcheté des hommes. Subtilement, Garrel abat tous les clichés du machisme ordinaire, sans entrer dans la grande démonstration. Les séquences se suivent, avec de nombreuses ellipses, allant droit au cœur du sujet à chaque fois. L'ultime plan est d'une beauté inouïe et solaire comme jamais dans le cinéma de Garrel, qui signe un de ses plus beaux films.