Critiques ciné et autres.
28 Juin 2015
Miguel Gomes, auréolé du succès de Tabou, signe un film fleuve, Les mille et une nuits, dont le premier volume (L'inquiet) est sur les écrans. Un film politique et poétique brillant, foutraque et touchant.
Où Schéhérazade raconte les inquiétudes qui s'abattent sur le pays : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays où l'on rêve de baleines et de sirènes, le chômage se répand. En certains endroits la forêt brûle la nuit malgré la pluie et en d'autres hommes et femmes trépignent d’impatience de se jeter à l'eau en plein hiver. Parfois, les animaux parlent, bien qu’il soit improbable qu’on les écoute. Dans ce pays où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, les hommes de pouvoir se promènent à dos de chameau et cachent une érection permanente et honteuse ; ils attendent qu’arrive enfin le moment de la collecte des impôts pour pouvoir payer un dit sorcier qui… ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.
Révélé sur la scène internationale grâce au succès de son troisième long-métrage, le fascinant Tabou, Miguel Gomes s'est attelé à des travaux d'Hercule en réalisant une fresque de plus de six heures reprenant la structure (et non le contenu) des Mille et une nuits. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs 2015, le film sort en trois parties durant l'été et le premier volume, L'inquiet, met en place son pouvoir de fascination. Les premières séquences montrent des ouvriers d'un chantier naval menacé de fermeture, ainsi que la lutte contre des guêpes asiatiques qui font disparaître les abeilles. En voix off, on comprend que c'est ce double sujet que veut traiter un cinéaste (incarné par Miguel Gomes) qui finit par s'enfuir de son plateau, effrayé par l'ampleur de la tâche. La fameuse Shéhérazade va donc prendre le relai et raconter des histoires poétiques, mais aussi profondément politiques, puisque le propos du cinéaste est en réalité un état des lieux du Portugal, ravagé par la cure d'austérité imposée par son gouvernement.
L'inquiet se compose de plusieurs petits segments apparemment disparates mais dont le point commun est de parler de la crise et de la situation du Portugal (de l'Europe ?). On y croise un coq poursuivi en justice pour réveiller la ville (éveiller les consciences ?), une bande de dirigeants européens qui justement ne "bandent" plus (leur impuissance sexuelle face à leur puissance économique), un trio d'adolescents passionnés et pyromanes (belle séquence poétique) ou encore une baleine échouée qui explose. Mais un segment bouleverse par son simplicité et sa sincérité : le "bain des magnifiques". En plan fixe, des hommes et des femmes ayant un métier mais "chômeurs de condition" livrent leurs angoisses et la difficulté de leur quotidien face à l'absurdité des décisions politiques. A ceux qui les traitent d'assistés, un d'entre eux répond que même quand on n'a rien à faire, on n'a pas le cœur d'aller à la plage profiter du beau temps. La crise a modifié notre perception du monde, a radicalisé les positions et Miguel Gomes a tourné son film pendant un an en se servant des événements et des rencontres avec le peuple portugais. Ce premier volume, qui installe le dispositif, laisse présager une trilogie qui devrait marquer l'année. On attend les deux autres volumes (les 29 juillet et 26 août) avec impatience.