Critiques ciné et autres.
24 Juin 2015
Premier film de la réalisatrice Anna Muylaert à être diffusé dans les salles françaises, Une seconde mère rend compte de l'évolution sociale du Brésil et de la lutte des classes toujours en place. Une comédie douce-amère portée par Regina Casé.
Depuis plusieurs années, Val travaille avec dévouement pour une famille aisée de Sao Paulo, devenant une seconde mère pour le fils. L’irruption de Jessica, sa fille qu’elle n’a pas pu élever, va bouleverser le quotidien tranquille de la maisonnée…
La notoriété de Regina Casé a certainement facilité l'exportation de ce quatrième long-métrage de la réalisatrice brésilienne Anna Muylaert, le premier à connaître une distribution dans les salles françaises. Une seconde mère a germé dans l'esprit de la cinéaste quand elle est devenue mère, au milieu des années 90. Au Brésil, la plupart des femmes de classe moyenne et au-delà engagent des nounous pour élever leurs enfants alors qu'elles travaillent, ces nounous ayant elles-mêmes des enfants dont elles ne peuvent s'occuper. Anna Muylaert s'explique : "Ce paradoxe social m’est apparu comme l’un des plus frappants au Brésil car ce sont toujours les enfants qui en sont les grands perdants tant du côté des patrons que des nounous. En fait, il y a un problème majeur dans le fondement même de notre société : l’éducation. Celle-ci peut-elle réellement exister sans affection ? Cette affection peut-elle s’acheter ? Et, si oui, à quel prix ?"
La dévouée Val (Regina Casé, géniale) s'occupe de Fabinho comme de son propre fils, dans une maison où elle sert un couple de bourgeois depuis près de vingt ans. Un beau jour, sa fille, Jessica, dont elle avait confié l'éducation à une tante, débarque à Sao Paolo, bien décidée à faire des études pour échapper à sa "condition". Sur le motif de Théorème de Pasolini (un intrus vient semer le trouble dans une famille bourgeoise au bord de la crise), Anna Muylaert filme comment l'insolence de Jessica, représentant une nouvelle génération qui ne veut plus être considérée comme une "citoyenne de seconde classe", va dérégler le système en place dont sa mère, la trop serviable Val, est à la fois victime et élément le plus actif (il faut voir comment elle défend presque naïvement les injustices qu'elle subit). Face à une bourgeoise odieuse accrochée à ses prérogatives et un père de famille à la libido contrariée, Val et Jessica représentent deux visages du Brésil, entre tradition de la domination et désir d'émancipation. Ce n'est pas un hasard si la jeune fille veut étudier l'architecture, comme pour construire un nouvel avenir. Le décor du film, une maison cossue, est d'ailleurs éloquent : tout est en étages, en niveaux, en compartiments bien étanches (chacun sa partie de la maison). A cette représentation d'une hiérarchie sociale, Anna Muylaert ajoute une question passionnante : qu'est-ce qu'une mère ? Celle qui accouche, celle qui élève, celle qui écoute ? On regrette quelques facilités dans la dernière partie, oscillant entre tentation mélodramatique et feel-good movie, dénotant un peu avec le propos tranchant de la première partie. Une seconde mère doit enfin sa grande réussite à la performance de Regina Casé, solaire et généreuse.