Critiques ciné et autres.
27 Avril 2016
Raymond Depardon reprend les routes de France et signe un documentaire à la rencontre de ceux qui la peuplent. Les Habitants se met à l’écoute des paroles les plus anodines comme les plus intéressantes. Un film à l’image de la France, complexe et variée.
Raymond Depardon part à la rencontre des Français pour les écouter parler. De Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, il invite des gens rencontrés dans la rue à poursuivre leur conversation devant nous, sans contraintes en toute liberté.
En 2012, Raymond Depardon et Claudine Nougaret (sa compagne, ingénieur du son et productrice) partaient sur les chemins de France et de la carrière du photographe et cinéaste dans le très beau Journal de France. Ce film était le point final d’une démarche entreprise entre 2004 et 2010, celle de parcourir « la France des sous-préfectures » pour la photographier – une très belle expo à la BNF en fut le témoin. Alors qu’ils se préparaient à partir tourner au Tchad, Raymond Depardon et Claudine Nougaret ont décidé de changer leurs plans suite aux attentats de janvier 2015. Le tandem choisit alors de repartir sur les routes françaises pour donner la parole à ses « habitants », plus particulièrement ceux des petites et moyennes villes. Le dispositif est simple : Depardon a aménagé une caravane en mini-studio avec une caméra filmant de profil et en plan fixe un duo de Français discutant en toute liberté, sans question ni la moindre intervention du cinéaste – tout s’est décidé au montage. De Charleville-Mézières à Nice, de Morlaix à Sète, de Bayonne à Villeneuve-Saint-Georges, les « habitants » se livrent sans prêter attention à la caméra.
Evidemment, certains témoignages sont un peu anecdotiques, comme celui des ados en pleine crise hormonale et obsédés par la conquête des filles du lycée, mais d’autres se révèlent drôles ou bouleversants – une mère et son fils face au problème de la drogue, deux copines anciennement battues par leur conjoint, deux grands-pères philosophant sur le temps passé. Ces Français, ce sont vous, moi, eux et entre relents machistes, propos racistes et désespoir de la précarité, un portrait de la France se dessine. Depardon ne faisant aucun commentaire, à chacun de prendre le recul sur cette parole qui refuse le politiquement correct. Ces deux femmes observant l’augmentation du nombre de « gens de couleur » dans leur commune ne sont pas forcément des racistes convaincues, peut-être juste des personnes dépassées par l’évolution d’un pays qui ne prend pas toujours en compte leurs problèmes. A leurs remarques sur les Noirs et les Arabes qui « parlent fort » et « ne respectent plus rien », le cinéaste répond intelligemment en faisant suivre leur témoignage de celui d’un couple de jeunes noirs amoureux qui se murmurent des mots d’amour et rêve d’un beau mariage. Le film de Depardon ne prétend pas donner une image exhaustive de la France mais il en livre un beau portrait, plus nuancé qu’il n’y paraît.