Critiques ciné et autres.
31 Octobre 2017
L’acteur et réalisateur Éric Caravaca nous plonge dans les secrets de sa famille pour dévoiler un documentaire intime sous forme de polar psychanalytique, entre non-dits, mensonges et véritable enquête à la recherche d’un passé effacé. Carré 35 est aussi un grand film de cinéma.
"Carré 35 est un lieu qui n’a jamais été nommé dans ma famille ; c’est là qu’est enterrée ma sœur aînée, morte à l’âge de trois ans. Cette sœur dont on ne m’a rien dit ou presque, et dont mes parents n’avaient curieusement gardé aucune photographie. C’est pour combler cette absence d’image que j’ai entrepris ce film. Croyant simplement dérouler le fil d’une vie oubliée, j’ai ouvert une porte dérobée sur un vécu que j’ignorais, sur cette mémoire inconsciente qui est en chacun de nous et qui fait ce que nous sommes."
Révélé en 1999 avec C’est quoi la vie ? de François Dupeyron, rôle qui lui vaudra le César du meilleur espoir masculin, Éric Caravaca devient peu à peu un visage familier du cinéma français, s’illustrant dans des drames et comédies tels que La chambre des officiers du même Dupeyron, Son frère de Patrice Chéreau, Cliente de Josiane Balasko ou plus récemment Préjudice d’Antoine Cuypers et L’amant d’un jour de Philippe Garrel. Après un premier long-métrage de fiction (Le passager, 2005), l’acteur repasse derrière la caméra pur un projet atypique revenant sur un lourd secret de famille qui devient l’objet d’un documentaire entre polar intime et enquête dans les méandres des non-dits.
Au fil de son enquête, Éric Caravaca multiplie les supports : images tournées par lui-même, interview de membres de sa famille, vieux films Super 8 de ses parents, documents officiels, archives télévisées durant les « événements » au Maroc et en Algérie au moment de l’indépendance. Ce court film (1h07) revient sur la brève existence de sa sœur Christine, morte à l’âge de trois ans bien avant sa naissance, comme pour lui réattribuer « la vie qu’elle n’a pas eue et la vie qui lui avait été enlevée une deuxième fois en la niant. » Ce qui frappe le plus dans ce documentaire, c’est le personnage énigmatique de la mère, plongée dans le déni depuis plus de cinquante ans. Elle affirme que Christine était une « petite fille normale » avec seulement un souffle au cœur. La vérité est tout autre, on l’apprend au fur et à mesure des révélations de cousins, d’un père gravement malade qui décide – consciemment ou non – de laisser tomber les filtres et du croisement d’informations glanées comme dans une enquête policière. La mère du cinéaste, enfant à qui l’on a caché pendant des années la mort de sa propre mère, est au centre de ce puzzle mystérieux. Éric Caravaca va tenter de sortir sa mère de ses contradictions, de son déni, de son mensonge, offrant des séquences bouleversantes. Carré 35 n’est pas seulement un documentaire sur les névroses familiales, c’est un grand moment de cinéma.