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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"Sans Adieu", un film de Christophe Agou

Christophe Agou dresse avec Sans Adieu le portrait d’une génération de paysans voués à disparaître mais qui survivent en marge d’un monde moderne qui a perdu, pour eux, l’essentiel. Un petit chef-d’œuvre documentaire, bouleversant et pudique.

"Sans Adieu", un film de Christophe Agou

Dans sa ferme du Forez, à l'est du Massif Central, Claudette, 75 ans, se bat pour rester digne face à une société qui n'a plus grand-chose à faire d'elle, et dont elle a du mal à accepter et à suivre l'évolution. Le monde moderne avale chaque jour un peu plus ses terres, ses bêtes et celles de ses voisins. Comme elle, Jean, Christiane, Jean-Clément, Raymond, Mathilde et tous les autres résistent et luttent au quotidien pour préserver leurs biens... leur vie. 

 

 

Né dans l’Auvergne de ce film, Christophe Agou part vivre à New York en 1992 et devient un photographe rapidement renommé, publié dans des revues aussi variées que Time, Life, Télérama, Newsweek ou le New York Times. Inspiré par Diane Arbus et Mario Giacomelli, il photographie des passagers du métro new-yorkais, avant de faire, à partir de 2002, des allers-retours entre sa région natale du Forez et les Etats-Unis. Agou photographie et filme les paysans qu’il côtoie au gré des tournées de beau-père facteur ou d’un vétérinaire qu’il accompagne. Petit à petit, sur une dizaine d’années, le film Sans Adieu, voit le jour – mais le réalisateur ne verra malheureusement jamais le montage final puisqu’il meurt d’un cancer en septembre 2015.

 

Rappelant forcément le travail de Raymond Depardon sur sa formidable trilogie Profils paysans, le premier et dernier film de Christophe Agou est un petit chef-d’œuvre du genre, un documentaire à hauteur d’humain, bouleversant, pudique et donnant la parole à ceux que l’on n’entend jamais. « On s’interroge souvent sur le sous-prolétariat urbain mais très peu sur ceux qui souffrent en silence en milieu rural » témoigne le producteur du film, Pierre Vinour. Entourée de son chien qui « l’emmerde » (mais qu’elle adore), de ses poules, lapins, oies, etc, Claudette est le fil rouge du film. Personnage haut en couleurs, femme digne, révoltée par ce que lui impose la société moderne (séquence surréaliste au téléphone avec l’administration), cette femme courbée se rapproche chaque jour un peu plus du sol mais ne cède rien, alternant les répliques caustiques et les moments d’abattement qu’elle cache pudiquement en posant ses mains abîmées sur son visage. On croise également Jean-Clément qui voit ses vingt-trois vaches partir à l’abattoir par mesure de précaution (un cas possible de maladie dans le troupeau) et refuse de les laisser tant que la fonctionnaire qui a ordonné l’exécution ne vient pas en personne. Digne. Jean, mélancolique depuis la mort de son frère, Mathilde, Raymond, Christiane et tant d’autres nous bouleversent mais nous adressent aussi un message politique : au nom de la (sur)consommation, de la modernité reine, de l’argent, on délaisse les campagnes et les gouvernements successifs ne font strictement rien pour ces vieux paysans voués à mourir sur leurs terres quand ils ne pourront plus y travailler. Dans le bazar accumulé dans les cuisines et les salles à manger au fil des décennies, dans les maisons emplies de bibelots, de vieux calendriers, de trois horloges indiquant trois heures différentes, c’est un monde qui disparaît petit à petit sous nos yeux. Le titre du film vient d’une expression locale utilisée notamment par Claudette quand Christophe Agou repartait à New York. « Sans Adieu », comme pour conjurer le sort, pour être sûrs de se revoir. Un très beau documentaire, du très grand cinéma.

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