Critiques ciné et autres.
3 Mai 2007
Dimanche 6 mai à 20.00, les français auront élu un(e) nouveau (nouvelle) Président(e) de la République.
Avec près de 85% de participation au premier tour (soit près de 38 millions de français), le 22 avril dernier, les électeurs ont massivement choisi Nicolas Sarkozy (31,18%) et Ségolène Royal (25,87%) pour le second tour. Le "troisième homme", celui qui a gagné 12 points entre janvier et avril, est François Bayrou avec 18,57% des suffrages. Le grand perdant est Jean-Marie Le Pen avec une perte de un million d'électeurs et 10,44% (son plus mauvais score depuis 1988).
Dès le 23 avril, les deux finalistes sont sur tous les fronts, multipliant meetings, interviews, rencontres… Point d'orgue pour les derniers meetings parisiens des deux candidats : Nicolas Sarkozy le 29 avril à Paris-Bercy (17 000 personnes rassemblées dans un POPB rempli et près de 25 000 à l'extérieur) et Ségolène Royal le 1er mai au stade Charléty (40 000 personnes dans un stade qui déborde et 20 000 à l'extérieur).
Le 2 mai 2007, pour la première fois depuis 12 ans (Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen en 2002), le traditionnel débat d'entre deux tours, pensé en 1974 par Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, a lieu. Nicolas Sarkozy est attendu sur sa personnalité nerveuse et colérique ; Ségolène Royal, elle, l'est sur sa capacité à affirmer et défendre son "Pacte Présidentiel". 149 minutes d'un débat plus qu'animé avec Sarkozy dans la retenue et Royal dans l'offensive. Assez prévisible finalement…
Ce que je retiens de ce débat est assez simple et a déjà été beaucoup commenté. Il n'y a ni vainqueur ni vaincu. Ségolène Royal a montré sa "capacité de révolte" et son aplomb ; Nicolas Sarkozy a montré qu'il pouvait contrôler son tempérament incendiaire. Les deux candidats s'en sont globalement bien sortis, malgré des erreurs et approximations des deux côtés (notamment quant au nucléaire). Nicolas Sarkozy s'est montré calme (masquant mal son hostilité par de nombreux "Madame" ou "Vous avez raison") et très rhétorique -bon orateur, il est vrai- là où Ségolène Royal a fait preuve d'offensivité et d'une impression de flou parfois, en faisant de longues phrases et en n'étant peu toujours aussi précise que son contradicteur. Ceci dit, les deux candidats brisent les codes du discours politique depuis des mois, donc il est difficile de juger de cela aujourd'hui car Royal a "sa" façon atypique et efficace de présenter les choses. Elle a aussi donné à voir aux français une vraie cohérence à son Pacte Présidentiel. Nicolas Sarkozy est plus connu des électeurs dans le sens où il fait la Une depuis 5 ans au sein du gouvernement dont il faisait partie il y a encore quelques semaines. Il a donc tenté, avec l'esprit de synthèse de son expérience d'avocat, de convaincre qu'il était le seul à pouvoir conduire la France de demain. Ségolène Royal s'est montrée affranchie des partis politiques avec sa volonté de ne pas généraliser les 35 heures mais d'en rediscuter avec les partenaires sociaux mais elle est restée dans la ligne de gauche en défendant toutefois cette avancée sociale. Nicolas Sarkozy, un peu surpris de voir sa rivale ne lui laisser aucun répit, ne la regardait pas souvent, cherchant ses fiches ou le regard des journalistes (Patrick Poivre d'Arvor et Arlette Chabot). Les deux candidats sont d'accord sur la création d'un service public de la caution (même si le financement ne sera pas de la même manière). Nicolas Sarkozy a avance la bonne idée de ne pas permettre à un Président de briguer un troisième mandat ; ceci dit, le cas -par expérience et par la durée des mandats- ne s'est jamais présenté. Là où Ségolène Royal a voulu entraîné son adversaire sur le terrain glissant de son bilan, ce dernier a sorti l'éternelle carte des 35 heures. "Un partout, la balle au centre".
Et justement, oui, la balle est au centre aujourd'hui. Car Royal et Sarkozy ont tout deux un socle assuré d'environ 35%. Jean-Marie Le Pen ayant appelé à l'abstention, les votes frontistes vont sûrement se répartir en trois tiers plus ou moins égaux (Sarkozy / blanc / Royal). François Bayrou, avec ses 7 millions d'électeurs au premier tour, semble donc en position de force. Les indécis, les centristes feront l'arbitre. Rien n'est joué à 3 jours du scrutin. Quelques heures après le débat, François Bayrou a annoncé qu'il ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy qui, selon lui, allait "déchirer le tissu social" (Le Monde du jeudi 3 mai 2007).
On peut regretter que les thèmes de l'Europe et de la mondialisation n'aient pas été abordés, mais ce fut le cas de la part de tous les candidats pendant toute la campagne. Le débat a, encore une fois, mis dos-à-dos deux projets de société, deux visions de la France et surtout deux personnalités. On retiendra bien évidemment la "colère saine" de Ségolène Royal quand Nicolas Sarkozy a dit vouloir instaurer des réformes que son gouvernement a démoli, en relation avec la scolarisation des enfants handicapés. Cette colère, sincère selon les observateurs, était aussi la bienvenue pour une candidate qui commençait à perdre de l'avance.
J'ai essayé dans ces lignes d'être aussi objectif que je pouvais l'être, même si les lecteurs habitués connaissent mes convictions et mon engagement.
Maintenant, et cela n'engage que ma conviction profonde -et partagée par des millions de français-, je pense que Ségolène Royal a prouvé qu'elle incarne un changement 'positif', un Etat impartial qui protège les libertés publiques. Elle prône un "ordre juste" où le travail serait valorisé pour ce qu'il est et partagé. Nicolas Sarkozy me paraît comme le représentant d'une France dure avec les plus fragiles et aidant les plus puissants ; j'ai la conviction que son élection aggraverait les inégalités sociales et (entre autres) conforterait la France dans une collusion délétère entre le pouvoir en place et les grands groupes médiatiques, un modèle à la Berlusconi dont je ne veux pas.
J'ai lu un article passionnant dans le dernier Courrier International. Il s'agit d'un article de Mark Weisbrot du Washington Post, directeur du centre de recherche économique et politique à Washington, intitulé "La désinformation économique, une aubaine pour la droite". La presse US est souvent pro-Sarkozy mais pas totalement…
L'économiste écrit : "Une fois qu'un pays développé a atteint un certain niveau de productivité, il n'y a aucune raison pour que ses habitants subissent des réductions de salaire ou travaillent davantage sous le prétexte que les autres pays sont en train de les rattraper. Cette productivité, qui repose sur la connaissance, les compétences, les réserves de capital et l'organisation économique du pays, est toujours là et augmente d'ailleurs chaque année."
Il explique également que le problème du chômage chez les jeunes est le même en France et aux USA, et n'a donc pas de lien avec les 35 heures. "Sarkozy propose de réduire les impôts, de revenir sur la semaine de 35 heures et d'autres mesures qui favorisent les hauts revenus et les propriétaires de grandes entreprises. Ces mesures redistribueront la richesse vers le haut, comme nous le faisons aux Etats-Unis depuis trente ans. Mais, encore une fois, rien ne prouve économiquement qu'elles feront augmenter l'emploi ou la croissance. Royal propose une série de mesures pour doper la demande, entre autres l'augmentation du salaire minimum, des allocations chômage et la multiplication des emplois subventionnés. Ces propositions sont plus logiques sur le plan économique car elles ont au moins une chance de créer des emplois, en dopant la demande totale et le pouvoir d'achat. Si la France bascule à droite lors de cette élection, ce sera largement à mettre sur le compte de la désinformation économique."
Mark Weisbrot n'est donc pas opposé à la droite, il n'est pas non plus pro-Royal ; il explique simplement que l'économie est un domaine complexe, mal présenté aux français.
Sur ce, et si vous avez eu le courage de lire ma prose en entier, à dimanche!