Critiques ciné et autres.
6 Février 2006
Aujourd'hui, je voudrais parler d'un film que j'aime beaucoup. Il s'agit de Giorgino, de Laurent Boutonnat.
Ce film a une histoire. Laurent Boutonnat a réalisé son premier film en 1978, l'introuvable Balade de la féconductrice, film gothico-gore interdit aux moins de 18 ans (alors que le réalisateur en avait 17!) tout de même présenté à Cannes, dans un festival parallèle en 1979. Laurent, qui rêvait de devenir un grand cinéaste, à l'image de Polanski ou Kubrick, commence à écrire le scénario de Giorgino vers 1980. A côté de ça, il réalise des spots publicitaires ou en compose les 'jingles'. En 1982, avec son ami Jérôme Dahan, il écrit une chanson, Maman a tort. Reste à trouver la chanteuse… On connaît l'histoire : la légende veut que Lio ait refusé la chanson et Jérôme Dahan présente une jeune fille prénommée Mylène à Laurent Boutonnat. Vous connaissez la suite, le tandem Farmer-Boutonnat entre dans la légende.
Revenons au film. Compte tenu du succès de Mylène Farmer, Laurent Boutonnat met Giorgino de côté sans perdre de vue l'idée de le réaliser plus tard avec les bénéfices engrangés par les chansons qu'il compose pour sa muse. Vers 1988, il reprend sérieusement l'écriture du scénario avec son complice Gilles Laurent.
Après maintes difficultés, le film est enfin tourné en 1993 en Tchécoslovaquie, dans un paysage glacé. Le tournage est tendu. Laurent Boutonnat avouera qu'il aurait pu "tuer quelqu'un de sang froid" tant il était concentré sur son film.
En mai 1994, une première version est montée pour le festival de Cannes. Refusée, trop longue (plus de quatre heures). Le cinéaste remonte une version plus 'courte' de trois heures. Prévue pour le mois d'août, la sortie est finalement repoussée au 5 octobre 1994. Le film est mal distribué et sort en même temps que des blockbusters comme Pulp Fiction, Forrest Gump et Léon. La critique éreinte le film. Tourné par un musicien, avec pour acteurs principaux une chanteuse (Mylène Farmer) et un guitariste inconnu (Jeff Dahlgren), le film est moqué. Résultat : à peine 70 000 entrées, un des plus gros échecs de la décennie.
L'histoire était pourtant belle : "Octobre 1918. Sitôt rendu à la vie civile, le jeune docteur Giorgio Volli part à la recherche du groupe d'enfants dont il s'occupait avant la guerre. Mais bien vite, sa quête prend l'allure d'une partie de cache-cache avec la mort : Giorgio se retrouve dans un vieil orphelinat bordé de marais inquiétants et de hordes de loups, où il y fait la rencontre de la mystérieuse Catherine, que l'on ne peut embrasser sans embrasser la folie." Le teaser annonçait Giorgino comme "une histoire dont personne n'aimerait être le héros".
La photo est magnifique, on pense tant aux tableaux de Géricault qu'à une inspiration romantique profonde. Le film est sublime mais souffre de certaines maladresses : trop de symboles entremêlés, quelques longueurs et des scènes parfois un peu confuses. Comme si plus d'une décennie de travail avait abîmé le film lui-même. La bande originale, composée par Laurent Boutonnat, est magnifique, jouée par l'Orchestre Philarmonique de Prague sous la direction d'Yvan Cassar.
Les comédiens sont excellents, Frances Barber (l'infirmière de Vol au-dessus d'un nid de coucou) en tête, dans le rôle de la 'nourrice' de Catherine, femme-enfant autiste jouée par Mylène Farmer, qui se révèle être une très bonne actrice. Joss Auckland, en prêtre mystérieux et bienveillant. Jean-Pierre Aumont en fou à lier. Et une apparition d'Albert Dupontel en psychiatre aux méthodes…draconiennes.
Au final, un film devenu culte pour les admirateurs de Mylène Farmer et Laurent Boutonnat mais une belle déception. Espérons qu'une hypothétique sortie en DVD (puisque Boutonnat est le seul détenteur des droits du film) permette un jour de (re)découvrir ce film maudit…
...HB...