Critiques ciné et autres.
22 Février 2006
OLD BOY (du coréen Park Chan-Wook)
sortie française le 29 septembre 2004
Grand Prix au Festival de Cannes en 2004, la plus prestigieuse des récompenses après la Palme d'Or. Quentin Tarantino (président du jury) a d'ailleurs déclaré que le film avait failli obtenir la Palme (à 2 voix près) devant Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. Message politique quelques mois avant la réélection de George W. Bush.
1988. Oh Dae-Soo, père de famille sans histoire, est enlevé un jour devant chez lui. Séquestré pendant plusieurs années dans une cellule privée, son seul lien avec l'extérieur est une télévision. Par le biais de cette télévision, il apprend le meurtre de sa femme, meurtre dont il est le principal suspect. Au désespoir d'être séquestré sans raison apparente succède alors chez le héros une rage intérieure vengeresse qui lui permet de survivre. Il est relâché 15 ans plus tard, toujours sans explication. Il a sur lui un portefeuille et un portable qui va se mettre à sonner. Oh Dae-Soo est alors contacté par celui qui semble être le responsable de ses malheurs, qui lui dit "tu dois maintenant chercher qui je suis et pourquoi je t'ai emprisonné pendant 15 ans". Le cauchemar continue pour le héros et c'est là que le véritable calvaire commence…
Old boy est adapté d'une manga en 8 volumes datant de 1997. C'est le deuxième volet d'une trilogie consacrée à la vengeance, le premier étant Sympathy for Mr. Vengeance. Le troisième volet serait en projet et devrait avoir pour héroïne une femme d'âge mûr.
Le film fut interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en salle car il comporte certaines scènes très violentes, notamment celle où un personnage se fait couper la langue. Le réalisateur précise qu'en Corée, "la possession d'une arme à feu est totalement interdite, il est impensable de commettre un meurtre avec un pistolet". D'où la présence dans les films coréens de scènes de bagarre aux couteaux ou aux poings. Le cinéaste estime que ce genre de violence comme plus 'humaine' mais que ça peut paraître plus violent aux yeux des occidentaux car elle est plus directe.
Le film débute sur l'enlèvement et la détention de Oh Dae-Soo. Il ressent d'abord de la colère, bien sûr, mais aussi de l'incompréhension. Pourquoi a-t-il été enlevé? Combien de temps va-t-il rester dans cette prison? Aucune réponse pendant 15 ans. Le cinéaste pose une question intéressante. Oh Dae-Soo se demande à sa sortie s'il n'aurait pas été pire de savoir qu'il allait y rester 15 ans. Le personnage cherche pendant sa détention qui peut lui en vouloir à ce point. Il se considère d'ailleurs comme un véritable prisonnier, gravant d'une barre chaque année passée dans sa cellule sur sa main comme sur le mur d'une prison et développe un sentiment de culpabilité, se retrouvant face-à-face avec lui-même et listant tout ce qu'il a pu faire de mal dans sa vie sur une sorte de journal intime du prisonnier. Son seul contact avec le monde extérieur est la télévision. Elle devient son horloge, son calendrier, son école… Pendant ces années de détention, il va développer une grande violence.
Un jour, il se retrouve sur le toit d'un immeuble. Libéré. Avec uniquement un costume neuf, un portefeuille et un portable. Il n'a plus rien. Plus de maison, plus d'amis, plus de repères. Quand le portable sonne, c'est son geôlier qui parle. Il invite Oh Dae-Soo à chercher "pourquoi" plutôt que "qui" dans la raison de sa détention. Il lui demande de réévaluer sa vie, en précisant qu'Oh Dae-Soo parlait beaucoup trop. Puis une phrase mystérieuse : "le caillou et le rocher coulent de la même façon dans l'eau". Commence alors un jeu de piste, le jeu du chat et de la souris. Car Oh Dae-Soo retrouve assez facilement son tortionnaire mais il ne peut le tuer car ce dernier est le seul à pouvoir lui donner le "pourquoi" de l'enlèvement. Le personnage principal, avec l'aide d'une jeune fille un peu perdue rencontrée à sa libération, n'a alors qu'une idée fixe en tête, la vengeance. Oh Dae-Soo va retrouver l'entreprise qui propose ces "rapts" et infliger un supplice horrible à son dirigeant : lui arracher un dent par année de détention. Il est lui-même devenu un monstre et se demande s'il redeviendra un jour Oh Dae-Soo.
La vengeance est donc le mot-clef du film. On ne s'étonnera pas de l'intérêt qu'a pu porter Quentin Tarantino à ce film au Festival de Cannes alors qu'il avait tourné l'année précédente les deux volumes de Kill Bill, film sur la vengeance également.
Old Boy devient alors un questionnement sur l'idée de vengeance, même quand on a subi le pire. Ce cinéma de cruauté s'accompagne d'une réflexion existentialiste plus profonde. Une fois la vengeance savourée, que reste-t-il à accomplir? Evergreen, le geôlier, voue une véritable obsession à l'égard de Oh Dae-Soo, qu'il connaît intimement, au point d'en oublier sa propre solitude, le vide de son existence. Je ne révèlerai rien du "pourquoi" pour ne pas gâcher votre plaisir si vous n'avez pas vu le film. Nul ne sort gagnant de face-à-face destructeur. Le cinéaste écarte le nihilisme au profit d'une compassion accordée à un homme qui n'a pas su se reconstruire, submergé par le poids de la perte et du passé.
Un sentiment d'effroi gagne le spectateur. Ris et tout monde rira avec toi. Pleure et tu seras seul à pleurer répète Oh Dae-Soo pendant tout le film, un bel adage qui résume ce film magnifique. Il ne s'agit pas uniquement de désamorcer une violence presque insupportable, il s'agit de nous montrer que ce monde est construit, voulu, contrôlé. Lorsque Oh Dae-Soo lève son marteau au-dessus de la tête d'une de ses victimes, les pointillés qui apparaissent sur l'écran nous rappellent qu'il n'est pas un homme libre de son geste, mais un jouet, pauvre polichinelle sorti d'une malle. Même un final en forme de happy ending, si tant est que l'on puisse employer cette expression pour ce film, ne parvient pas à édulcorer l'horreur de cette histoire, que le personnage nous remercie d'avoir écoutée.