Critiques ciné et autres.
28 Février 2006
En 1979, François Truffaut décide de tourner Le dernier métro, la chronique d'une troupe de théâtre sous l'Occupation, qu'il conçoit comme le deuxième volet, après La nuit américaine (qui narrait les hauts et les bas d'une équipe de cinéma pendant le tournage d'un film), d'une trilogie sur le spectacle. Il mourra d'ailleurs avant de pouvoir clore sa trilogie dont le dernier volet aurait été consacré au milieu du music-hall.
Cela fait longtemps que Truffaut désire aborder cette période de l'Occupation, dont il garde des souvenirs précis, lui qui avait tout juste dix ans en septembre 1942, à l'époque où le film commence. Cette période a douloureusement marqué le cinéaste car il était souvent seul dans le petit appartement familial alors que Paris était bombardé et il a passé des heures dans les files d'attente pour obtenir quelques produits alimentaires. Le dernier métro démarre d'ailleurs sur un commentaire qui replace le film dans son contexte historique, commentaire illustré par un montage de documents photographiques et d'images d'archives. Quelques secondes du court-métrage de Georges Franju, La première nuit, montrant des personnes de dos, courant dans les couloirs du métro parisien viennent appuyer ce moment précis du commentaire : "…et, pour les Parisiens, il est terriblement important de ne pas rater le dernier métro." car après 23.00, il n'y avait plus de métro et l'on pouvait se faire prendre en otage ou fusiller par les Allemands.
Voici un extrait des déclarations de François Truffaut lors de la sortie du film. "En tournant Le dernier métro, j'ai voulu satisfaire trois désirs : montrer les coulisses d'un théâtre, évoquer l'ambiance de l'Occupation et donner à Catherine Deneuve un rôle de femme responsable. (…) Il en résulte un film d'amour et d'aventures qui exprime, je l'espère, mon aversion pour toutes les formes de racisme et d'intolérance, mais aussi mon affection profonde pour ceux qui ont choisi le métier de comédiens et l'exercent par tous les temps."
Le scénario du film a été écrit par François Truffaut et Suzanne Schiffman. Ils se sont beaucoup documentés, notamment grâce à des mémoires de directeurs de théâtre de l'époque. Par exemple, l'altercation au restaurant entre le critique pro-nazi Daxiat et l'acteur Bernard Granger est inspirée d'un épisode relaté par Jean Marais dans ses mémoires Histoires de ma vie. Marais se disputa violemment avec le critique Alain Lambreaux qui avait éreinté la pièce de Jean Cocteau La Machine Infernale dans son torchon pro-nazi Je suis partout, sans l'avoir vue. Truffaut gardera d'ailleurs le nom de ce journal dans Le dernier métro. Mais le réalisateur ne veut pas faire un film politique, l'Occupation n'est qu'une toile de fond et il s'intéresse, comme toujours, aux personnages et à leurs sentiments.
Pour Truffaut, un film sur l'Occupation doit être tourné entièrement dans une ambiance obscure de frustration et de précarité. Les seules sources de lumières doivent être les théâtres, dans lesquels les gens venaient se réchauffer et oublier un quotidien misérable, et les chansons écoutées sur la TSF. Le générique de début du film reprend sans surprise LA chanson qui marqua l'époque, Mon amant de Saint-Jean, interprêtée par Lucienne Delyle.
Après avoir mis en place, le contexte du film, en voici le synopsis :
Paris, septembre 1942, Lucas Steiner, le directeur du Théâtre Montmartre, a dû fuir parce qu'il est juif. Sa femme Marion (Catherine Deneuve) dirige le théâtre et engage Bernard Granger (Gérard Depardieu), transfuge du Grand Guignol, pour jouer à ses côtés dans La disparue. Jusqu'au soir de la générale, la troupe subit les menaces du virulent critique Daxiat, dont l'ambition est de diriger la Comédie-Française. Et si, par amour pour sa femme, Lucas Steiner avait fait semblant de quitter la France et était resté caché?
Habituellement, les mises en scène au Théâtre Montmartre sont de Lucas Steiner. Mais, en son absence, c'est son assistant Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) qui prend le relais pour La disparue. Coup de théâtre à une demi-heure du début du film : Lucas Steiner n'est pas parti, Marion le cache dans sa cave et, de sa planque, il contrôle la mise en scène de la pièce en cours de montage. Bernard Granger s'éprend peu à peu de Marion Steiner, qui ne peut l'aimer et garde son terrible secret. Comme dans de nombreux films de Truffaut, une femme est éprise de deux hommes et ne peut choisir (Jules et Jim, La femme d'à côté…).
Selon le cinéaste, "Le dernier métro n'est pas un film sur l'Occupation mais sur un petit groupe de gens sous l'Occupation qui s'agitent et tentent de vivre." D'ailleurs, la croix gammée qui figure sur l'affiche est à l'envers. Truffaut concentre son action sur trois thèmes : la nécessaire continuité de l'art (Même en prison, le besoin de s'exprimer est le plus fort. Il est indestructible), la claustration et la formation d'un triangle amoureux Steiner-Marion-Bernard. Le film tient, selon Truffaut, un discours sur l'Occupation se réclamant d'une citation de Sartre : "Me comprendra-t-on si je dis à la fois que l'Occupation était intolérable et que nous nous en accommodions fort bien?"
Le dernier métro est donc bien avant tout le plus romantique des films de Truffaut. Il y a une phrase importante dans le film : "C'est une joie et une souffrance".
En 1969, Truffaut fait tourner Catherine Deneuve aux côtés de Jean-Paul Belmondo dans La sirène du Mississippi et garde un goût amer de l'échec commercial de ce film. Dans la scène finale de La sirène du Mississippi, Marion (même prénom, même actrice) s'abandonne à l'amour. Belmondo et Deneuve : "-Tu es si belle, quand je te regarde, c'est une souffrance. -Pourtant hier, tu disais que c'était une joie. -C'est une joie et une souffrance. -Je vous aime. -Je te crois." Comme un clin d'œil, onze ans plus tard, c'est une phrase adressée à une actrice, la même phrase adressée à la même actrice dans deux films, les deux films de Truffaut avec Deneuve. Dans La disparue, pièce jouée dans le théâtre du Dernier métro, les comédiens échangent :
"-Tu es belle, Héléna, si belle que te regarder est une souffrance. -Hier vous disiez que c'était une joie. -C'est une joie…et une souffrance." et le rideau tombe. Mise en abîme, théâtre dans le théâtre, mélange de fiction et de réalité.
Le dernier métro est certainement un des plus grands films de Truffaut. En tout cas, un de ceux qui lui étaient le plus cher. Tournage difficile, mais récompensé. En 1981, il obtient dix Césars ; meilleurs montage, son, photographie, décors, musique et surtout les cinq trophées les plus prestigieux : meilleurs scénario, acteur, actrice, réalisateur et film! Un triomphe. "C'est trop!" avoue Truffaut avec une modestie naturelle. Et il dédie le César du meilleur film à tous les comédiens, sans qui rien ne serait possible. Durant sa carrière, Truffaut n'aura eu de cesse que de dire à quel point il aimait les comédiens. Il le lui rendent bien…