Critiques ciné et autres.
21 Mars 2006
Rarement une actrice aura été autant dépassée par son destin. Avec une carrière assez courte (14 ans) mais prolixe (31 films), Marilyn Monroe est une des légendes du 20ème siècle. Avec une gaieté sexy que personne n'a jamais pu atteindre, elle incarne à jamais le glamour hollywoodien : des cheveux blonds, des yeux tellement bleus et des lèvres éclatantes. Marilyn est-elle une pure construction du cinéma hollywoodien et de la société américaine des années 1950? Oui et non. Comme le souligne Christine Berckmans dans son ouvrage Marilyn Monroe : Mythe et séduction, "il faut tenir compte, outre sa propre soumission aux stéréotypes féminins, de la position sociale de la femme dans la société moderne. (…) Ce qui cristallisa la curiosité, le désir, ce fut aussi l'identification d'une multitude de femmes à la good-bad-girl et au glamour dont elle fut la quintessence". Mais le talent d'actrice de Marilyn -trop souvent sous-estimé- est impressionnant. Un critique cinéma de l'époque, Alton Cook, écrivit dans le World Telegram en 1952 : "Marilyn n'a pas la vedette, elle est la vedette".
La petite Norma Jean naît le 1er juin 1926 à l'Hôpital Général de Los Angeles. Sa mère, Gladys Monroe, ne sut jamais vraiment qui était le père de son enfant. On lui a toujours dit qu'elle s'appelait Norma Jean Baker, du nom du premier mari de sa mère, mais elle apprendra à seize ans qu'elle s'appelle officiellement Norma Jean Mortensen, du nom de l'homme avec qui vivait sa mère au moment de sa naissance. Cette absence perturbe la jeune Norma Jean qui s'imagine Abraham Lincoln comme père idéal. Cet ancien président des USA avait aboli l'esclavage le siècle dernier et la jeune fille le trouvait aimable et bon. Elle déclarera plus tard que c'est son idéal, un portrait de Lincoln était d'ailleurs accroché au-dessus de son lit quand elle était une actrice débutante à la fin des années 1940. Sans faire de psychologie bon marché, on peut comprendre que, toute sa vie, la comédienne a cherché ce père absent, ce qui explique qu'elle n'eut des relations qu'avec des hommes âgés de dix à trente ans de plus qu'elle. De plus, en 1929, sa mère est internée dans un hôpital psychiatrique. La petite Norma Jean connaît alors jusqu'en 1935 le triste cortège de plusieurs familles d'adoption où elle n'est guère la bienvenue. En 1935, sa mère, déclarée aliénée, est transférée dans un autre hôpital pour "schizophrénie paranoïde". Norma Jean, alors âgée de 9 ans, entre à l'orphelinat de Los Angeles.
Le 19 juin 1942, sa tante, Grace McKee, décide de la propulser dans l'âge adulte en la mariant au voisin, Jim Dougherty. Norma Jean n'a alors que seize ans. Pendant la guerre, elle travaille à l'usine et s'occupe de la maison. Cette vie lui déplaît profondément et le tournant décisif se situe le 2 août 1945 quand Norma Jean pose sa candidature pour un casting de mannequins. Etre mannequin est désormais tout ce qui l'intéresse. Elle divorce en 1946, bien décidée à prendre sa vie en mains.
En 1947, après avoir fait la couverture de tous les magazines, elle signe son premier contrat d'actrice avec la Fox et Norma Jean Baker devient Marilyn Monroe. Elle apparaît quelques minutes dans un premier film en 1948, Scudda Hoo! Scudda Hay!, qui ne restera pas dans les mémoires… Son contrat avec la Fox est rompu. En 1949, elle obtient un petit rôle dans Love happy, une comédie des Marx Brothers. En 1950, elle tourne trois films…autant de bides! Marilyn désespère de devenir un jour une grande actrice comme dans ses rêves.
C'est à la fin de cette année 1950 que Joseph L. Mankiewicz l'engage sur son film All about Eve dans un petit rôle aux côtés de Bette Davis, idéal pour l'imposer. La Fox resigne avec elle un contrat de sept ans. La carrière de Marilyn prend enfin. En 1951, elle tourne pas moins de quatre films, dont deux comédies à succès : Nid d'amour et Chéri, divorçons! Elle en tourne quatre autres l'année suivante, dont Monkey Business (Chérie, je me sens rajeunir) d'Howard Hawks, l'un des réalisateurs les plus talentueux de l'époque, et aux côtés de Cary Grant. Pendant le tournage, Marilyn est hospitalisée pour une crise d'appendicite mais elle refuse d'être opérée de peur d'être retirée du film. Cela montre bien l'acharnement dont elle fait preuve pour réussir. Le film est un succès. La même année, elle tourne dans un film plus méconnu mais que j'aime particulièrement, dans lequel elle interprète pour la première fois un rôle dramatique (son rêve) : Don't bother to knock. Elle y fait une performance exceptionnelle dans le rôle d'une baby-sitter aussi séduisante qu'inquiétante mais aussi psychologiquement dérangée qui fera tout ce qui est en son pouvoir, même l'inavouable, pour empêcher que les pleurs d'un bébé n'empiètent sur sa passion amoureuse. Dans ce film, Marilyn est magnifique et Franck Quinn, du New-York Daily Mirror, écrit : "Marilyn Monroe, dont les rôles à l'écran n'ont eu jusqu'ici d'autre utilité que celle de montrer ses attributs et ses charmes naturels, apparaît sous un jour différent. Plus qu'une femme séduisante, c'est une actrice qui promet."
A partir de 1953, tout s'accélère pour Marilyn Monroe. Elle tourne cinq films cette année-là, dont trois devenus des classiques.
Niagara brosse un portrait sombre et sinistre de la sexualité dans lequel Marilyn incarne une jeune femme intrigante et sexy. Durant un week-end aux Chutes du Niagara, cette femme manipulatrice séduit délibérément un homme afin de le pousser à tuer son mari. Ce film sombre montre encore une fois l'étendue du talent de Monroe. Otis Guernsey, journaliste au New-York Herald Tribune, juge que "ce qui donne au film sa dimension exceptionnelle, c'est la présence obsédante de Marilyn Monroe".
Retour à la comédie dans Comment épouser un millionnaire?, l'une des meilleures de Marilyn, dans laquelle elle incarne aux côtés de Lauren Bacall et Betty Grable une jeune femme aveuglée par le luxe et qui loue avec deux amies un somptueux appartement à Manhattan dans le seul but d'attirer les hommes riches et susceptibles de se marier. Le film est un triomphe et impose Marilyn dans la cour des grands puisqu'elle devient alors l'une des actrices les plus rentables d'Hollywood.
Les hommes préfèrent les blondes marquent les retrouvailles avec Howard Hawks. Elle y joue le rôle mythique de cette blonde torride et incendiaire qui fera tout pour épouser un millionnaire. C'est dans ce film que Marilyn chante dans sa robe rose la célèbre chanson Diamonds are a girl's best friend.
Dans cette lancée, Marilyn continue d'enchaîner les tournages, elle considère d'ailleurs qu'elle travaille à la chaîne. Ses angoisses augmentent et son estomac la fait particulièrement souffrir. En 7 ans, elle a déjà tourné 25 films.
En janvier 1954, elle épouse l'ancien joueur de base-ball Joe Di Maggio. Incompréhensible mariage. De toute évidence, cet homme n'a rien pour la rendre heureuse. Il passe ses journées devant la télévision avec une bière à la main et n'est pas plus bavard que tendre. Lorsqu'elle lui offre un montre avec, gravée au dos, une citation extraite du Petit Prince de Saint-Exupéry ("On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux"), il s'exclame "Mais, bon Dieu, qu'est-ce que ça veut dire?" Marilyn est alors appelée à aller faire une tournée en Corée pour remonter le moral des troupes américaines. Pour la première fois, elle chante sur une scène et réalise son incroyable popularité.
Là-bas, elle est accueillie par Milton Greene, un jeune photographe, celui qui saura le mieux immortaliser la comédienne, notamment en 1954 lors de la Black Session, certainement la plus belle séance de photos de la comédienne où l'on aperçoit pour la première fois une Marilyn tour à tour séductrice et fragile, sexy et réservée, drôle et tourmentée. Aucun autre photographe n'aura su la saisir aussi bien que Milton Greene.
Avec lui, elle crée les Marilyn Monroe Productions, afin d'avoir un contrôle total sur les prochains films de la star. Elle a tourné 25 films en 7 ans, elle en tournera seulement 6 dans les 7 dernières années de sa carrière. Sa décision de quitter Hollywood pour faire les films qu'elle veut faire est un acte très fort à l'époque. Elle s'acquitte de ses derniers engagements à Los Angeles et s'installe dans un hôtel new-yorkais. A New-York, Marilyn respire, loin d'Hollywood et des studios, dans cette ville où les gens la laissent en paix.
Elle entreprend une psychanalyse et, en parallèle, avec beaucoup de modestie, la star redevient étudiante en s'inscrivant aux cours du controversé Lee Strasberg de l'Actor's Studio. Elle veut devenir une vraie actrice et jouer des rôles dramatiques.
C'est aussi l'époque où Marilyn va commencer à sombrer dans la dépendance à l'alcool et aux médicaments, qu'elle prend comme des bonbons. Si elle est la star la plus adulée au monde, sa vie privée est un échec. Après de nombreux avortements, elle voit son rêve d'avoir un jour un enfant s'éloigner. Sa santé se dégrade : avortements, addiction aux somnifères mélangés à l'alcool, tentatives de suicide, toute sa vie, Marilyn aura offert son corps à la science. Elle se retire alors dans la campagne proche de Weston, avec Milton Greene, sa femme et ses enfants.
En 1956, elle reprend ses projets avec Bus Stop. Le tournage se fait à Los Angeles, où Marilyn n'est pas revenue depuis plus d'un an. Dans ce film, elle incarne une innocente chanteuse dans un bar minable mais qui espère faire carrière à Hollywood. Le film montre une Marilyn plus profonde, capable d'assumer un rôle dramatique. Un critique du New-York Times écrira lors de la sortie de Bus Stop que "Marilyn Monroe vient d'administrer la preuve qu'elle est une actrice. Elle et le film sont extraordinaires." Quant au réalisateur, il déclare : "Monroe, c'est le cinéma à l'état pur." Le pari semble donc gagné pour la comédienne. Qui plus est, elle a un homme dans sa vie : l'écrivain Arthur Miller, qui devient cette année-là son dernier mari.
Elle s'envole pour Londres avec Arthur Miller et Milton Greene pour tourner The Prince and the Showgirl aux côtés de Laurence Olivier. Le tournage est épouvantable pour la comédienne. Elle se demande si elle n'a pas eu tort de quitter Hollywood. Laurence Olivier est odieux et se révèle d'une grande mesquinerie en la critiquant ouvertement à la fin du tournage.
Arthur Miller, jaloux de la relation entre Milton Greene et sa femme, sème le trouble entre eux. La comédienne est assommée par sa consommation d'alcool et de médicaments de plus en plus importante, les conseils de ses psychiatres qu'elle voit plusieurs fois par semaine et l'omniprésence de Paula Strasberg, la femme du professeur de l'Actor's Studio qui la suit comme une ombre et en qui Marilyn a mis toute sa confiance. La star décide de mettre fin à la vie des Marilyn Monroe Productions, ruinant ainsi Milton Greene. C'est d'ailleurs à l'issue de ce tournage londonien que Marilyn mettra fin à sa collaboration si fructueuse avec Milton Greene. Ce dernier en gardera des regrets mais pas d'amertume en affirmant qu'il a tout fait pour elle et qu'il ne fera jamais rien qui puisse lui nuire. Le couple Monroe-Miller s'installe à New-York en 1957 et Marilyn met sa carrière entre parenthèse pendant cette année qu'elle passe à s'occuper de son mari. A 31 ans, son désir d'avoir un enfant devient de plus en plus fort et en juin elle apprend avec joie qu'elle est enceinte. Elle fait une fausse couche deux mois plus tard… Marilyn commence à sombrer lentement dans une dépression qui lui sera fatale.
Au début de l'année 1958, Marilyn décide de retourner à Hollywood, signe un nouveau contrat avec la Fox et s'apprête à retrouver Billy Wilder pour tourner l'un de ses plus grands succès, Some like it hot (Certains l'aiment chaud). L'escapade new-yorkaise est terminée, la star revient à Hollywood au bras d'Arthur Miller, mettant fin à l'une des plus intéressantes et intenses parties de sa vie.
Mais Marilyn n'est plus la même. Ses deux années d'indépendance à New-York l'ont changée, en bien comme en mal. Jamais elle ne se sortira de la main mise qu'a Paula Strasberg sur elle, lui dictant sa conduite sur les plateaux de tournage, au grand dam des réalisateurs. Désormais, Marilyn ne sera plus jamais libre de ses gestes, entièrement dirigée par Miller, Strasberg et les médecins qu lui fournissent à volonté les médicaments dont elle pense avoir besoin.
Elle retombe enceinte à l'automne 1958 mais refait une fausse couche quelques jours avant Noël. Elle n'aura jamais d'enfant, elle le sait. Elle a 32 ans, elle est épuisée, inquiète. Elle a en elle une peur qui ne la quittera plus, la hantise de sa beauté chaque jour remise en question. Elle maigrit et grossit en fonction de ce qu'elle inflige à son corps.
En 1959, elle tourne Let's make love (Le milliardaire) une comédie musicale avec Yves Montant. Sur le tournage, Marilyn est insupportable, irritable, elle passe des heures dans sa loge avec Paula Starsberg avant d'accepter de venir sur le plateau. Les jours où elle ne se trouve pas assez jolie, elle refuse de tourner. Simone Signoret rejoint bientôt son mari à Hollywood pour recevoir l'Oscar de la meilleure actrice. Marilyn, qui n'a jamais eu ne serait-ce qu'une nomination (encore une humiliation qu'Hollywood lui assène), sombre définitivement. Sa relation avec Miller bat de l'aile et elle déclare avec amertume en parlant de Simone Signoret : "Elle a l'Oscar, elle a Yves, elle est intelligente, tout le monde a des égards pour elle… Elle a tout! Et moi, qu'est-ce que j'ai?"
En 1960, Marilyn Monroe tourne son dernier film, The Misfits (Les Désaxés), écrit par Arthur Miller et réalisé par John Huston. Elle joue aux côtés de Clark Gable et Montgomery Clift. Elle incarne une femme divorcée et désillusionnée qui se lie d'amitié avec un groupe de cow-boys marginaux. Le film est un chef d'œuvre crépusculaire et intense qui marquera d'ailleurs les dernières apparitions à l'écran de Marilyn Monroe et Clark Gable, qui mourra d'une crise cardiaque à la fin du tournage. Une ambiance de mort plane sur ce tournage à haute tension. Marilyn a des malaises de plus en plus fréquents pendant ce tournage qui s'achève à la fin de l'été 1960. En novembre, elle divorce d'Arthur Miller.
La star se retire dans sa villa à Los Angeles, seule avec sa gouvernante Eunice Murray. Elle passe ses journées à boire et mélange toutes sortes de médicaments. Elle fait venir ses médecins plusieurs fois par jour parfois.
Au printemps 1962, la Fox lui signifie qu'elle va tourner Something's got to give sous la direction de George Cukor. Le tournage est une catastrophe, Marilyn est à bout de nerfs. Ses retards quotidiens et ses absences finissent par paralyser le tournage. Contre l'avis des producteurs, elle s'envole le 19 mai pour New-York et assiste à la soirée de gala pour l'anniversaire du président Kennedy, soirée au cours de laquelle elle chante l'inoubliable Happy Birthday Mr. President. De retour à Los Angeles, elle est renvoyée par la Fox en juin, quelques jours après ses 36 ans. Elle se bat et les studios finissent par céder et la reprennent pour finir le tournage. Marilyn semble aller mieux au début de l'été, elle est ponctuelle et tourne avec efficacité. Le film va se faire…
On ne connaîtra sûrement jamais la vérité tant le mystère plane autour de la nuit du 4 au 5 août 1962. Marilyn Monroe est retrouvée morte dans son lit, suite à une overdose de médicaments cette nuit-là. Dès l'annonce de sa mort, le monde entier est sous le choc. Marlon Brando aura cette phrase si tragiquement lucide : "Elle était une femme rare. De nombreuses personnes, moi y compris, ont commis l'erreur impardonnable de ne pas la comprendre ni l'apprécier comme elle le méritait. Et Marilyn voulait terriblement tout cela : être comprise et appréciée. Elle aurait pu continuer à vivre seulement à ces conditions."
Ainsi s'achève la vie de la star la plus émouvante du siècle dernier. Une femme qui voulait désespérément être comprise et aimée pour ce qu'elle était, au-delà de son physique. Une femme qui n'aura jamais pu surmonter ses blessures. La vie lui aura été fatale…
...HB...