Critiques ciné et autres.
12 Septembre 2008
Loin de son excellente comédie 101 Reykjavik, l'islandais Baltasar Kormakur propose un très bon thriller, froid et identitaire, Jar City. Sur les écrans français depuis le 10 septembre dernier, ce film a cartonné en Islande en 2006 puisqu'il a été vu par plus de 105 000 personnes, soit un tiers de la population islandaise.
Inspecteur à Reykjavik, Erlendur enquête sur le meurtre d'un vieil homme apparemment sans histoire. La photo de la tombe d'une petite fille retrouvée chez la victime réveille pourtant une affaire vieille de quarante ans. Et conduit Erlendur tout droit à Jar City, surprenante collection de bocaux renfermant des organes, véritable fichier génétique de la population islandaise...
Jar City est adapté du roman d'Arnaldur Indridason, une star nordique du polar. Le cinéaste Baltasar Kormakur avait agréablement surpris avec son premier long-métrage 101 Reykjavik en 2001 (avec notamment Victoria Abril). Il revient avec ce cinquième film cette année, mêlant quête identitaire, enquête de police et anticipation génétique.
Le film est soutenu par un scénario très riche et complexe ; les vingt premières minutes sont assez ardues car il faut assimiler pas mal d'informations sans savoir qu'elles sont en corrélation. La réalisation est habile et sombre. Le réalisateur a voulu éviter le cliché inhérent à son pays : les glaciers, les sources, les volcans... Il filme une Islande esseulée et rurale. "L'Islande est à la fois inhospitalière et accueillante. (...) Sur l'île, on ressent une impression paradoxale d'enfermement et de liberté, comme une prison d'où les détenus pourraient s'évader à tout moment." déclare Baltasar Kormakur.
Malgré la violence de certaines images, Jar City ne succombe pas à la surenchère, gardant une grande sobriété. Le cinéaste a souhaité un traitement réaliste des faits et des sentiments des personnages : "Pour exprimer leurs états d'âme, j'ai préféré filmer une version moins reluisante de mon pays, avec ses paysages lunaires, exsangues et désolés. (...) Ce décor cadrait bien avec ma vision de l'inspecteur en missionnaire solitaire, s'en allant convertir les âmes esseulées." Aussi peut-on entendre au début du film, lorsque le cadavre est découvert : "C'est un meurtre typiquement islandais : bordélique et sans intérêt".
Jar City est aussi porté par la belle interprétation des acteurs, en tête l'inspecteur (Ingvar Eggert Sigurdsson). La polémique suscitée en 2002 par l'entreprise DeCode Genetics est aussi une des trames du film. Cette société a constitué un fichage génétique et médical de 95% des islandais depuis 1703, soit 700 000 personnes. Le directeur de cette société joue d'ailleurs son propre rôle dans Jar City. Cette partie du film est tournée "sans répétition et sans texte", comme un documentaire au sein de la fiction.
Thriller et questionnement sur l'identité islandaise, Jar City est un très bon film et l'occasion -trop rare- de découvrir un cinéma d'ailleurs. L'occasion aussi de voir les paysages d'Islande, des plus beaux aux plus gâchés.