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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"C'est dur d'être aimé par des cons"


En salles depuis le 17 septembre, C'est dur d'être aimé par cons est un documentaire réalisé par Daniel Leconte. Retour sur le fameux "procès des caricatures" avec un témoignage au quotidien, de la publication des caricatures au verdict de la justice française. Un document important présenté hors compétition à Cannes en mai dernier avec Michael Moore comme invité d'honneur.

 

 


Pour avoir reproduit les douze caricatures danoises ayant déclenché la colère des musulmans aux quatre coins du monde, Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, journal satirique français, est assigné en justice. Un procès hors norme que Daniel Leconte suit en temps réel. Pour décrypter, avec les acteurs clés, les enjeux politiques internationaux, médiatiques et idéologiques. Avec, en images : avocats, témoins, médias, conférences de rédaction, manifestations de soutien. Avec aussi les prises de positions des intellectuels et des hommes politiques, les réactions de l'accusation et des pays musulmans. Une réflexion sur l'Islam, sur la presse, sur l'état de l'opinion dans la société française mais aussi une tentative de réponse aux défis lancés par l'intégrisme à toutes les démocraties.

 


 

Dans une première partie, le film établit un rappel des faits. L'assassinat par un fanatique islamiste du réalisateur néerlandais Theo van Gogh. Quelques jours plus tard, un journal danois s'interroge sur l'islamisme et publie douze caricatures de Mahomet, caricatures reprises dans la presse française par France Soir, L'Express (la publication des caricatures par Denis Jeambar lui vaudra d'ailleurs sa place -décision de Serge Dassault, qui vend des armes en Arabie Saoudite et ne veut pas se fâcher) et Charlie Hebdo. Ce dernier est le seul journal à être traîné en justice par la Grande Mosquée de Paris, la Ligue Islamiste Mondiale et l'Union des Organisations Islamiques de France. La caricature montrant le Prophète cachant une bombe dans son turban et la couverture du journal signée Cabu où l'on voit Mahomet, atterré par la bêtise des intégristes, dire "C'est dur d'être aimé par des cons!" ont fait sortir ces organisations de leurs gonds.

 


Dans une seconde partie, le procès. Pour retracer cette "épopée", Daniel Leconte a choisi un tour humoristique, notamment pour les témoignages des protagonistes, et s'en explique : "Premièrement, ces entretiens témoignent de l'ambiance des audiences qui a parfois viré à la franche rigolade. De ce point de vue, les entretiens sont d'ailleurs plutôt en-deçà. (...) Cette dimension se devait d'apparaître dans le film. Deuxièmement, c'est l'esprit de Charlie Hebdo qui était en jeu. Cet esprit particulier qui consiste à mener la charge avec l'humour comme arme de destruction massive de la bêtise. Il m'était difficile de ne pas rester dans ce registre-là. (...) Comme une façon d'introduire de la distance, un peu de légèreté dans une affaire qui au fond est très grave."

 

Le film montre l'élaboration de la une qui a fait scandale, la préparation et le déroulement du procès, avec de nombreux et passionnants témoignages. François Hollande et François Bayrou sont les deux politiques à avoir témoigné au tribunal en faveur du journal. Un soutien inattendu, par le biais d'une lettre, a même été apporté par Nicolas Sarkozy, alors candidat. Philippe Val revient d'ailleurs sur son amertume face au non-engagement de Ségolène Royal, elle aussi candidate, dans ce procès et fait part du "mal" que cela lui a fait de recevoir l'aide de Sarkozy. Les témoignages sont drôles, importants et parfois même émouvants, comme ceux d'Elisabeth Badinter (qui résume tout en trois phrases) ou du journaliste algérien Mohamed Sifaoui, menacé de mort par les islamistes. Le dessinateur Riss (membre de Charlie) explique que la question n'est pas de savoir si l'on doit rire de tout, mais pourquoi l'on doit rire de tout... Par peur, par protection, par défense, explique-t-il avec justesse.

 

L'enjeu de ce procès était universel. Daniel Leconte déclare : "Considéré à tort au départ comme une affaire française, le procès se transforme vite en enjeu planétaire avec au bout la réponse par le droit aux tentatives des extrémistes musulmans d'imposer par la force leurs interdits religieux. Après le meurtre de Theo van Gogh aux Pays-Bas, après le renoncement de l'Europe à défendre ses principes quand, au moment fort des caricatures danoises, ses ambassades étaient mises à sac au Proche-Orient, ce procès est un test pour la France, pour l'Europe, pour toutes les démocraties." Philippe Val, lui, rapporte qu'il a été choqué par les réactions des représentants français de l'Islam qui semblent "prendre les musulmans pour des cons" en leur excluant la possibilité d'avoir de l'humour, y compris sur leur religion.

 

En effet, ce ne sont pas les musulmans "laïcs", modérés, qui ont été choqués par ces dessins mais bien les extrémistes qui refusent l'humour et veulent imposer leur prétendu pouvoir par la force et la violence. Le film devient alors une réflexion passionnante sur la liberté d'expression. Au nom de quoi ne peut-on pas rire des religions? Dans sa plaidoirie, un des avocats de Charlie, Richard Malka répond aux plaignants qui déplorent un traitement spécial de l'Islam et réclament une égalité face aux autres religions : il leur donne en exemple les caricature portant sur les autres religions, sur Bouddha, sur le pape (cible traditionnel des caricaturistes), les juifs... Il leur pose la question "Voulez-vous vraiment un traitement égal?" Et il présente les couvertures de Charlie, toutes plus impertinentes... Au point que même les plaignants finissent par éclater de rire...

 

 


Les avocats prennent d'ailleurs un malin plaisir à raconter le procès. Malka et Kiejman jouent les "gentils", Bigot et Szpiner les "méchants". Ce dernier dézingue au passage la journaliste Caroline Fourest par une répliques digne de Michel Audiard : "Madame Fourest s'aime tellement que, si elle commettait un crime passionnel, ce ne pourrait être que son suicide..."

 

Véritable protagoniste du film, la salle des pas perdus. C'est là que Daniel Leconte capte les opinions des uns et des autres, des pour et des contre, des laïcs et des religieux... La salle des pas perdus est en prise avec le procès, déchaînant les passions. "Elle représentait la Vox Populi, où si vous préférez un forum brut, sans parole policée. Sans compter que cette salle était un lieu fort du procès, c'est là que ressortaient les témoins après les audiences. Ce qui amenait des niveaux de parole différents, l'un à la justice, l'autre à l'opinion" commente le réalisateur.

 

Les différents témoignages font de ce film un manifeste exemplaire pour la liberté d'expression, pour la séparation fondamentale entre l'Etat et l'Eglise et contre les extrémismes. C'est dur d'être aimé par des cons est aussi l'histoire d'un combat et d'une victoire indispensable de la liberté de la presse, de la liberté tout court sur ceux qui nous terrorisent.



...HB...
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