Critiques ciné et autres.
5 Juillet 2006
Jeune lieutenant de police formé en province, Antoine (Jalil Lespert) est affecté à la deuxième division de Police Judiciaire. Il travaille sous la direction du Commandant Vaudieu (Nathalie Baye), séduisante quinquagénaire revenue aux affaires après avoir traversé un drame familial et une plongée dans l'alcool. Tous deux vont apprendre à se connaître au cours d'une enquête sur le meurtre de plusieurs SDF.
Succès surprise pour ce film qui, sans promotion ni un grand nombre de salles mais grâce à un excellent bouche-à-oreille, rassemble près de 700 000 spectateurs et permet à Nathalie Baye d'obtenir une nouvelle fois le César de la meilleure actrice en 2006.
Pour ce film, Xavier Beauvois s'est imposé deux conditions : il voulait explorer le genre du thriller mais sans avoir recours à l'adaptation pour l'écran d'une œuvre littéraire préexistante. Donc, pour s'immerger, le réalisateur s'est décidé à suivre un capitaine de police de la Division Criminelle pendant plusieurs mois, pour capter le 'vrai' et mettre à mort ses préjugés. Il explique que ce capitaine lui donna accès à certaines parties confidentielles d'un dossier spécifique et le droit d'assister à certaines autopsies. Le petit lieutenant est donc le produit de cette expérience personnelle et, au travers du personnage d'Antoine, un jeune "bleu" sorti de l'école et qui découvre le métier, Xavier Beauvois choisit de filmer une enquête sur le meurtre de SDF et son contexte sous l'angle le plus réaliste possible, parfois proche du documentaire.
Son choix de faire jouer de vrais policiers et de vrais SDF (il trouve ridicule l'idée de grimer un comédien car on ne retrouve la vérité de cette misère que dans la misère elle-même) souligne un souci de réalisme et prouve une attention systématique aux moindres détails des milieux décrits. Alors que Jalil Lespert n'a pas suivi une préparation particulière car le comédien devait, comme le personnage, découvrir, Nathalie Baye, elle, a dû s'immiscer dans la peau du commandant Vaudieu bien avant le tournage. Elle a donc suivi pendant plusieurs semaines des "femmes-flics", participé à des perquisitions, des filatures, etc…
Pendant trois ans, le réalisateur a collaboré avec un commandant et un lieutenant de police pour connaître le quotidien de ces hommes. Car il ne s'agit pas de grosses affaires ou de courses-poursuites tous les jours. Il y a aussi des choses moins intéressantes : les feux de poubelle, les voitures volées… En regardant le film, on a l'impression d'être réellement flic pendant deux heures.
Dès son intégration dans la brigade, le petit lieutenant découvre Paris et ses nouvelles fonctions. Au début, il joue le soir avec son arme et fait le tour de Paris avec son gyrophare. Le commandant qui a assisté Xavier Beauvois sur le tournage précise que c'est normal quand on débute, c'est comme un nouveau jouet, on finit par s'y habituer.
Le réalisateur dresse plusieurs portraits : le policier sérieux et charismatique qui assiste le commandant Vaudieu, le policier facho, le policier "fonctionnaire", aigri et dégoûté de son métier, qui sera d'ailleurs responsable de la funeste bavure.
Quand Vaudieu (Nathalie Baye) fait son apparition dans le film, au moment de l'intégration d'Antoine dans la brigade, elle fait son retour après des années de dépression et d'alcool suite à la mort tragique de son jeune fils. Elle s'attache très vite au petit lieutenant, qui a l'âge qu'aurait son fils décédé. Le quotidien de la PJ est décrit avec réalisme, montrant qu'il n'y a pas de petites affaires (le meurtre des SDF ne semble pas intéresser la Brigade Criminelle), et avec un aspect documentaire, révélateur des sérieuses recherches du cinéaste en amont du tournage. Le quotidien de la PJ est de veiller à l'ordre.
Le personnage du Commandant Vaudieu symbolise parfaitement cette idée. Son combat intime contre son alcoolisme est la métaphore d'une ténacité pour garder le cap et assumer jour après jour un milieu professionnel lourd d'enjeux, sombre et violent.
Car le thème du film est aussi la solitude. Celle d'Antoine, choisie, loin de sa jeune épouse, pour atteindre son but d'être un vrai policier, et celle de Vaudieu, dramatique, car elle n'a plus que son métier pour survivre. Peu à peu, un transfert s'opère : Antoine considère Vaudieu comme une grande sœur (substitut de sa femme absente) et Vaudieu projette l'image de son enfant mort sur le petit lieutenant.
Des plans "parallèles" montrent les protagonistes le soir, seuls dans leur appartement. Antoine est tout excité, joue avec son arme, regarde avec candeur Paris depuis son balcon et le seul bruit extérieur vient de la télévision, dont on imagine qu'elle est à la base de sa vocation, grâce aux polars qu'il a pu voir étant enfant. Quant à Vaudieu, elle est seule également, mais la télévision (elle zappe sans même regarder) n'est là que pour meubler le vide, le bruit vient de l'extérieur. Elle aussi regarde Paris depuis son balcon, mais ce n'est pas le même Paris ; le sien est rempli de nostalgie, de souvenirs douloureux, de regrets…
Après une bavure qui coûte la vie à Antoine, Vaudieu se retrouve seule, de nouveau, face à l'alcool. Le plan final la montre au bord de la mer, regardant la caméra avec émotion, comme pour appeler la compassion du spectateur et lui laisser une porte ouverte. Elle ne sait pas ce qui va se passer pour elle, et nous non plus.
Comme avait dit Jean-Luc Godard, "il faut faire un film juste et non pas juste un film".