Critiques ciné et autres.
9 Août 2009
En 2005, Michel Houellebecq signait un best-seller avec son roman La possibilité d'une île, vendu à plus de 250 000 exemplaires. Trois ans plus tard, le 10 septembre 2008, l'écrivain sortait au cinéma sa propre adaptation avec Benoît Magimel en tête d'affiche. La critique se déchaîne dans une rare virulence et l'échec est cuisant (moins de 20 000 entrées). Pourtant, le film, imparfait, possède de nombreuses qualités.
Fils d'un gourou d'une secte dérisoire, Daniel1 fait des mots croisés en attendant que sa vie prenne un sens. Il traîne. Silencieusement. Indifférent finalement aux transports du monde actuel. A ses loisirs comme à ses peines. Daniel25 (vingt-quatrième descendant, par reproduction artificielle, de Daniel1) vit silencieusement dans une cellule souterraine, rivé sur les images satellite d'un monde extérieur désert, contaminé, dévasté par des guerres ethniques et religieuses qui ont conduites à des conflits nucléaires, des épidémies incontrôlables, et surtout, des catastrophes climatiques d'une ampleur inédite. Comment Daniel1 a-t-il rendu possible Daniel25? Peut-être en passant par une île, un territoire isolé sur lequel Daniel1 se posant enfin des questions sur l'avenir du monde, admet l'hypothèse scientifique et biologique d'une possible éternité humaine. Peut-être en étant le premier à accepter de disparaître au profit d'un autre lui-même, un mutant, un "surhomme". Un survivant à tout. Mais seul, quel est le sens de la survivance?
Deux des trois premiers romans de Houellebecq ont été adaptés au cinéma : Extension du domaine de la lutte par Philippe Harel et Les particules élémentaires d'Oskar Roehler. Pour cette Possibilité d'une île, l'auteur s'est chargé lui-même du scénario et de la réalisation. J'avais beaucoup aimé le roman lors de sa sortie et j'attendais doc le film avec impatience. Difficile d'adapter un livre dense, de près de 500 pages, en un film expérimental de 85 minutes. Mais Houellebecq a sûrement moins voulu une mise en images précise et fidèle qu'une vision cinématographique de son œuvre.
Dans le film, on voit "Daniel 1" suivre son gourou de père (une copie de Raël) dans ses premières interventions quant au clonage et à l'immortalité. Petit à petit, de la camionnette cheap dans une banlieue de Charleroi, en Belgique, on passe à une riche villa à Lanzarote où la secte s'est établie en attendant le retour des "Elohims" (sorte d'extraterrestres créateurs de l'humanité et détenant le secret de la vie éternelle) dont les adeptes pensent qu'il marquera la fin des temps. En se basant sur le clonage par l'ADN, la secte va créer des générations d'humains conformes. On retrouve Daniel 25 dans la cave (aux visuels très expressionnistes) où il vit, seul au monde ou presque, la planète ayant été dévastée par les guerres et les barbaries. Il décide de sortir pour partir à la recherche d'une "île" paradisiaque et d'une néo-humaine seule elle aussi. Il ne trouve autour de lui qu'un paysage désolé, vestiges de plusieurs générations d'humains, et un chien, seule créature vivante et fidèle, qui va le suivre dans son périple. Il se retrouvera au bord de la mer avec cette impossibilité d'une île. "Le bonheur n'était pas un horizon possible. (…) J'étais, je n'étais plus. La vie était réelle" sont les mots qui achèvent d'ailleurs le roman.
Houellebecq a choisi un dépouillement pour son film, à l'inverse de son roman. C'est donc une réelle adaptation, qui a donné beaucoup de travail à l'auteur de son propre aveu. La possibilité d'une île est un film contemplatif, plein d'une lenteur mélancolique et dont l'univers sonore et visuel prime. Ce cinéma expérimental n'est pas du goût de tout le monde, certes, mais il a le mérite d'être original et cohérent dans l'ambiance qu'il développe pendant 1h25. Le futur épouvantable qui nous pendrait au nez à cause de cette course à l'immortalité a quelque chose d'apocalyptique, et la seule réponse est l'amour, plus fort que tout.
Au cœur de l'œuvre de Michel Houellebecq, comme l'a souligné un journaliste suisse lors de la sortie du film, se trouve "la réflexion de Schopenhauer selon laquelle la vie oscille sans cesse, comme un pendule, de la souffrance, causée par le désir, à l'ennui". L'écrivain revendique d'ailleurs cette influence en apportant un grand pessimisme sur l'existence humaine dans la société d'aujourd'hui.
La possibilité d'une île a aussi inspiré des musiciens. Iggy Pop a publié au printemps l'album Préliminaires, basé sur la lecture du roman. Et Carla Bruni a mis en musique la lettre d'adieu qu'écrit Daniel 1 à sa femme avant son suicide (lire l'article du 19 juillet 2008) et qui porte le nom du roman.
Artiste controversé, Michel Houellebecq offre dans tous les cas un film expérimental fort. La virulence des critiques montrent que l'œuvre de l'auteur ne laisse pas indifférent. Personnellement, j'aime le livre plutôt frontal et son alter ego cinématographique plus symbolique.