Critiques ciné et autres.
2 Septembre 2009
Depuis son premier long, Regarde les hommes tomber, en 1994, Jacques Audiard est un cinéaste intéressant. A chaque film, il semble devenir meilleur. Après le fascinant Sur mes lèvres (2001) et le sublime De battre mon cœur s'est arrêté (2005), Audiard a marqué le dernier Festival de Cannes où il a reçu le prestigieux Grand Prix avec son nouveau film, Un prophète. En salles depuis le 26 août.
Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans. D'emblée, il tombe sous la coupe d'un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des "missions", il s'endurcit et gagne la confiance des Corses. Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau.
Indéniablement, Un prophète est un film fort. L'ascension d'un petit voyou qui devient un caïd dans la prison est finalement prétexte à montrer le récit d'une initiation dont l'élève dépasse le maître. Mais quelle maîtrise du cadre et du montage… La réalité des prisons met mal à l'aise tant nous sommes mis au constat d'une violence inouïe, d'une guerre permanente, d'une quête pour la survie et de jeux de pouvoir. Et encore, le film ne montre pas toutes les horreurs de la prison : la maladie mentale (qui touche 25% des détenus), l'addiction aux drogues dures, le peu de moyens mis en œuvre pour la réinsertion, les suicides…
Jacques Audiard et son scénariste Abdel Raouf Dafri déclarent : "Nous voulions fabriquer des héros à partir de figures que l'on ne connaît pas, qui n'ont pas de représentation iconique au cinéma, comme les Arabes par exemple". L'absence d'acteurs connus (mis à part Niels Arestrup), de visages familiers renforce cette construction. Le spectateur est face à un monde qu'il ne connaît pas. Le titre est à la fois mystérieux et ironique. "A l'origine, je voulais trouver une équivalence française à You Gotta Serve Somebody, une chanson de Bob Dylan qui doit que l'on doit toujours être au service de quelqu'un. J'aimais le fatalisme et la dimension morale de ce titre, mais je n'ai pas trouvé de traduction satisfaisante, alors c'est resté Un prophète" confesse le réalisateur.
La pertinence de ce film de prison est aussi celle de nous montrer autre chose que l'évasion, ressort si galvaudé, mais de pointer que le ver est dans le fruit, que le crime se trouve au sein même de la prison et que ses réseaux sont parfaitement huilés. Les trafics de toutes sortes organisés (dans le film) principalement par les Corses sont autant de pistes scénaristiques et Audiard ne s'en prive pas. Pendant 2h30 presque épuisantes, il mène la vie dure à ses personnages et au spectateur. A l'exception de rares et courtes "permissions", le film se situe entièrement dans la prison, au cours des années de détention de Malik. Ce récit très documenté laisse parfois la place à l'onirisme dans des scènes où l'on voit réapparaître Reyeb, l'homme que Malik a été contraint de tuer dans sa cellule pour prouver son engagement auprès des Corses, qui parle à Malik et évoque pour nous les derviches tourneurs et le soufisme.
Révélation évidente du film, Tahar Rahim, un jeune acteur débutant mais qui a tout de même étudié le cinéma pendant des années à Montpellier notamment, livre une prestation épatante dans ce huis-clos carcéral. Niels Arestrup trouve, lui, peut-être le plus beau rôle de sa carrière cinématographique. En parrain corse manipulateur et maître de l'initiation, il est tout simplement génial. Sauvé et foutu, Malik ne sourit pas, sauf sous le feu des balles, dans une scène magnifique où il laisse éclater sa vengeance contre ceux qui pensent qu'il n'est qu'un "arabe qui pense avec ses couilles". Assurément, Jacques Audiard signe son film le plus intense.