Critiques ciné et autres.
2 Octobre 2009
De très nombreux films sont sortis en ce mois de septembre. Adam Elliot a livré mercredi dernier un des plus enthousiasmants, Mary & Max, un film d'animation avec des personnages en pâte à modeler. Loin de la joie de vivre et des "héros" de l'animation, ce long-métrage est un chef-d'œuvre poétique, drôle et merveilleux.
Sur plus de vingt ans et d'un continent à l'autre, Mary et Max raconte l'histoire d'une relation épistolaire entre deux personnes très différentes : Mary Dinkle, une fillette de 8 ans joufflue et solitaire, vivant dans la banlieue de Melbourne, en Australie, et Max Horowitz, un juif obèse de 44 ans, atteint du syndrome d'Asperger et habitant dans la jungle urbaine de New York.
Le dessinateur (et maintenant réalisateur) australien Adam Elliot a fait naître Mary dans une banlieue terne de Melbourne, jeune fille boulotte et triste délaissée par un père qui, après une vie d'usine, passe son temps dans la remise avec des animaux empaillées et une mère alcoolique (elle "teste" le goût du sherry à longueur de journées) qui considère sa fille comme un "accident". Max est un juif new-yorkais obèse de 44 ans (au début du film, qui s'étale sur 20 ans). Abandonné par son père et seul suite au suicide de sa mère, il ne croit plus en Dieu et a pour seule compagnie un chat borgne et un poisson rouge. Il est atteint du syndrome d'Asperger, une maladie proche de l'autisme, sans les troubles du langage.
L'idée du film est venue à Adam Elliot de son histoire personnelle. Il a correspondu pendant des années avec un américain qui l'avait choisi par hasard dans l'annuaire, voulant avoir un ami australien. Le réalisateur s'explique sur cette relation épistolaire : "Aujourd'hui, j'ai 37 ans et lui 55, et nous ne sommes encore jamais rencontrés! Il voulait un correspondant australien, il m'a trouvé dans un annuaire. (…) J'étais un enfant solitaire, différent et incompris. Malgré le soutien que me témoignaient mes parents, c'est grâce à lui que je suis sorti de ma coquille. Pourtant, de son côté, on ne peut pas dire qu'il allait mieux : il souffre du syndrome d'Asperger, il ne parvient pas exprimer ses émotions, à s'accepter tel qu'il est, il se trouve terriblement ennuyeux. Mais, bizarrement, il a accepté que je me serve de son expérience pour créer le personnage de Max."
Visuellement, Adam Elliot a choisi une palette de couleurs réduite : des tons marron pour le village australien et des tons gris pour New-York. "Une palette de couleurs réduite au minimum me permet de renforcer le style visuel et de le distinguer de l'univers loufoque, farfelu et multicolore de la plupart des films d'animation." déclare le dessinateur-cinéaste. Dans le village de Mary, tout n'est que mesquinerie, hypocrisie, peurs et médiocrité. New-York est représentée en gris, avec des habitants qui font toujours la gueule, qui polluent tout (au propre comme au figuré). Chaque univers est distinct mais connaît des points communs, comme le rouge, qui accentue le symbolisme de certaines choses (le pompon, le rouge à lèvres de la mère de Mary, la barrette de Mary…).
Au-delà de la réussite visuelle, Mary & Max est un film à l'humour cruel et tranche par son mélange d'acidité et de tendresse. Loin de susciter la compassion mièvre sur ces deux solitudes, sur la maladie de Max, sur les malheurs de Mary, le film met au jour les hasards heureux et malheureux de la vie, l'évolution du monde entre 1976 et 1996… Mais surtout, Mary & Max est un film sur le regard que l'on porte sur l'autre ; celui qui est différent est marginalisé, mis sur la touche. Mais là encore, Adam Elliot ne tombe pas dans l'écueil moralisateur qui étouffe la plupart des productions d'animation. Il livre un ton original, plein d'humour et qui fait ressentir au spectateur plus d'amitié que de pitié pour ces personnages éreintés par la vie. Entre moments de bonheur, séjours dans des hôpitaux psychiatriques qui pratiquent les électrochocs, mariage raté, disputes et réconciliations, Mary & Max comporte une scène qui pourrait devenir mythique : en pleine dépression, au bord du suicide, Mary se retrouve dans un tourbillon surréaliste qui mêle photos de famille, angoisses existentielles, désir de fuite et envies d'ailleurs, le tout sur Que sera, sera interprété par Pink Martini.
Mary & Max rend hommage, sans misérabilisme, aux paumés, aux laissés-de-côté, aux personnes différentes et rejetées parce que différentes. Ce film raconte la misère humaine sans notion de pitié et célèbre ceux qui sont moins fous qu'on le croit. Mary & Max pourrait émouvoir quelques générations.