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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"Elena", un film de Andrei Zviaguintsev

 

Andrei Zviaguintsev ne déçoit pas les espoirs placés en ses deux premiers films. Avec Elena, il livre un film noir puissant sur la Russie d'aujourd'hui sous la forme d'un portrait de femme à double tranchant. Captivant et implacable.

 

 

Affiche-Elena.jpg


 

Elena et Vladimir forment un couple d’un certain âge. Ils sont issus de milieux sociaux différents. Vladimir est un homme riche et froid, Elena une femme modeste et docile. Ils se sont rencontrés tard dans la vie et chacun a un enfant d’un précédent mariage.
Le fils d’Elena, au chômage, ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa propre famille et demande sans cesse de l’argent à sa mère. La fille de Vladimir est une jeune femme négligente, un peu bohème, qui maintient son père à distance. Suite à un malaise cardiaque, Vladimir est hospitalisé. A la clinique, il réalise qu’il pourrait mourir prochainement. Un moment bref mais tendre partagé avec sa fille le conduit à une décision importante : c’est elle qui héritera de toute sa fortune. De retour à la maison, Vladimir l’annonce à Elena. Celle-ci voit soudain s’effondrer tout espoir d’aider financièrement son fils. La femme au foyer timide et soumise élabore alors un plan pour offrir à son fils et ses petits-enfants une vraie chance dans la vie.

 

 

 

 


 

Récompensé par le Prix spécial du jury dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2011, Elena est le troisième film du russe Andrei Zviaguintsev, après Le retour, immense réussite couronnée d'un Lion d'Or en 2003, et Le bannissement quatre ans plus tard. Avec Elena, à travers le portrait d'une femme, c'est le portrait de la Russie d'aujourd'hui que fait le cinéaste. Une Russie où l'argent a terriblement accru les divisions sociales dans la population depuis la chute du Mur de Berlin, une Russie qui aurait même peut-être perdu son âme, selon les plus radicaux ; la récente et controversée réélection de Poutine en témoigne.

 

Elena est une femme d'une cinquantaine d'années, vivant depuis 10 ans (dont deux de mariage) avec Vladimir, un homme riche qu'elle a rencontré dans l'hôpital où elle travaillait. Elle vient d'un milieu très modeste alors que lui a fait fortune dans l'industrie à la suite de l'explosion de l'URSS. D'ailleurs, leur couple, sans vraie affection, fonctionne lui-même sur un rapport de classe, puisqu'Elena est traitée en permanence comme une employée de maison. Vladimir, sans même s'en rendre compte, lui fait sentir toute la journée qu'elle ne serait pas dans cet appartement cossu si elle n'était pas mariée à lui. De là à une forme de prostitution, il n'y a qu'un pas. Andrei Zviaguintsev filme tous les recoins de l'appartement dans de magnifiques plans-séquences (dont un de près de dix minutes), marque de fabrique que l'on jurerait héritée de Tarkovski.

Vladimir, figé dans des principes intransigeants (et pas toujours infondés), refuse d'aider encore plus le fils d'Elena et sa famille. Ce dernier est une sorte de beauf qui passe sa vie devant la télévision, buvant des bières, jouant aux jeux vidéo avec son fils adolescent, considérant sa femme comme une boniche bonne à porter des enfants (un troisième est en route). Ce trentenaire sans envergure compte uniquement sur l'argent que sa mère (et donc Vladimir) lui donne pour vivre. Jamais les mondes de Vladimir et du fils ne se rencontrent, Elena étant la passerelle entre eux. D'ailleurs, le riche retraité ne sort pas de son appartement, sauf pour se rendre à la salle de sport au volant d'une énorme berline allemande en forme de bulle qui le protège d'un monde extérieur qu'il méprise.

 

Le nœud du film se noue assez tardivement. Après de longues et sublimes expositions, le cinéaste choisit d'accélérer la cadence quand Elena élabore la mort de son mari. Il n'y a pas de préméditation, elle aime son mari, mais quand elle comprend qu'il ne donnera pas l'argent pour "sauver" son petit-fils, elle se range du côté des siens, comme par instinct. A travers le parcours de cette femme, Zviaguintsev dresse donc le constat d'une société russe où la morale n'existe plus, où l'argent a tout corrompu, jusqu'à l'âme. Les riches seraient aussi nihilistes et cyniques que les pauvres cupides et sans vergogne. Pour l'homme, point de salut, qu'il soit social, philosophique ou religieux. Les programmes TV imbéciles ont envahi les espaces des riches comme des pauvres, la société est en lambeaux. C'est sur ce triste constat que nous laisse le réalisateur avec un plan fixe reprenant celui d'ouverture, les corbeaux en moins. La démonstration est aussi magistrale que désespérée.

 

 

...HB...

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