Critiques ciné et autres.
15 Septembre 2013
Emmanuelle Bercot livre son troisième long-métrage en tant que réalisatrice, Elle s'en va, présenté lors de la Berlinale 2013, avec Catherine Deneuve telle qu'on l'a rarement vue. Un hymne à la féminité, une réflexion sur le temps qui passe et un portrait en creux de Deneuve.
Bettie, la soixantaine, se voit soudain abandonnée par son amant et en péril financier avec le restaurant familial. Que faire de sa vie ? Elle prend sa voiture, croyant faire le tour du pâté de maisons. Ce sera une échappée. Au fil de la route : des rencontres de hasard, un gala d’ex-miss France, le lien renoué avec sa fille, la découverte de son petit-fils, et peut-être l’amour au bout du voyage… Un horizon s’ouvre à elle.
En quelques années, Emmanuelle Bercot s'est imposée comme un auteur incontournable du cinéma français. Après un premier long remarqué (Clément, en 2001) et un deuxième très réussi (Backstage, 2005), la réalisatrice et actrice multiplie les projets : Mes chères études pour Canal Plus, coécriture de Polisse (de Maïwenn) dans lequel elle joue, réalisation d'un segment (le meilleur) des Infidèles avec Jean Dujardin et Gilles Lellouche… A 46 ans, elle signe son plus beau film avec Elle s'en va, road-movie émouvant et drôle dans une France qui pourrait être celle des "sous-préfectures" de Raymond Depardon.
Catherine Deneuve incarne Bettie, une veuve sexagénaire qui tient (tant bien que mal) un restaurant à Concarneau, quittée par son amant et qui vit avec sa mère qui la traite comme une ado. Un dimanche midi, en plein service, la coupe est pleine : elle décidé d'aller "faire un tour". Au volant de sa voiture sans âge, elle ne s'arrête plus et le petit tour devient une fuite en avant. A la recherche de cigarettes, Bettie va traverser la France et faire des rencontres aussi surprenantes que déroutantes. Bercot filme les villages de province comme Depardon, avec tendresse et respect : des commerces fermés, un chien à la fenêtre, des rues désertes mais aussi des relations humaines peut-être plus sincères.
La réalisatrice a voulu filmer Catherine Deneuve parce qu'elle est une source d'inspiration inépuisable, mais sans lui attacher un statut empesé de star. L'actrice de 70 ans a rarement été filmé dans son authenticité, sa simplicité, son quotidien. Cadrée sous toutes les coutures, Deneuve ose tout : porter une perruque improbable, pleurer, rire, manger, faire l'amour sans lendemain… loin de l'image fixée que certains lui prêtent. Catherine Deneuve tombe le masque complètement et s'offre à la caméra d'Emmanuelle Bercot, et c'est beau. Elle s'en va peut êztre vu, en creux, comme un documentaire sur Catherine Deneuve, sur la femme et non l'actrice. La cinéaste a choisi de n'entourer Deneuve que d'acteurs débutants ou non professionnels, sauf pour les rôles appartenant à son passé : sa mère chérie mais envahissante (géniale Claude Gensac) et les anciennes Miss (Bettie fut Miss Bretagne 1969) incarnées par Mylène Démongeot mais aussi, de manière plus surprenante, Evelyne Leclerc ou Valérie Lagrange. Dans les autres rôles, la chanteuse Camille (la fille plutôt bipolaire de Bettie), Némo Schiffman (le petit-fils) et Paul Hamy (le jeune amant d'un soir de cuite) font partie des révélations du film. Bettie rencontre aussi des "vraies gens" comme un vieil agriculteur drôle (quand il peine à rouler une cigarette pour une Deneuve amusée) et émouvant (quand il raconte comment son chagrin d'amour à 20 ans l'a amené à ne jamais se marier).
Emmanuelle Bercot s'est adjoint les services de Guillaume Schiffman (son compagnon et le père de son fils qui joue le petit-fils dans le film), le directeur de la photo de The Artist entre autres, pour trouver une lumière à la fois sublime (les premiers plans de Deneuve au bord de la mer sont à couper le souffle) et simple. Dans une réunion d'anciennes "Miss", un publicitaire propose le slogan "En avant la vie !" pour une campagne de photos mettant en valeur les seniors, les "sexy sexas". Catherine Deneuve se montre à la fois simple et pleine d'autodérision pour ce rôle qui lui colle à la peau, celui d'une femme libre. Les derniers mots, avec un horizon optimiste, sont "En avant la vie !" et ils résument parfaitement ce film solaire d'Emmanuelle Bercot, comme un hymne à la vie, à l'amour et aux femmes.
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