Critiques ciné et autres.
26 Mars 2012
Benoît Jacquot revisite la Prise de la Bastille, à travers le destin de la lectrice de Marie-Antoinette, avec Les adieux à la reine. Mise en scène brillante pour cette apocalypse en état de grâce.
En 1789, à l’aube de la Révolution, Versailles continue de vivre dans l’insouciance et la désinvolture, loin du tumulte qui gronde à Paris. Quand la nouvelle de la prise de la Bastille arrive à la Cour, le château se vide, nobles et serviteurs s’enfuient… Mais Sidonie Laborde, jeune lectrice entièrement dévouée à la Reine, ne veut pas croire les bruits qu’elle entend. Protégée par Marie-Antoinette, rien ne peut lui arriver. Elle ignore que ce sont les trois derniers jours qu’elle vit à ses côtés.
Benoît Jacquot est un bosseur, il a toujours un projet en cours. Après des films nombreux et inégaux pour le cinéma et la télévision, parmi lesquels des grandes réussites (Villa Amalia en 2009, Au fond des bois en 2010, La fille seule en 1995, A tout de suite en 2004, Sade en 2000…), le cinéaste amoureux des actrices adapte le roman de Chantal Thomas, écrit juste après le 11 septembre 2001, dans une analogie de la catastrophe. Jacquot dépoussière le film en costumes avec une modernité absolue et un propos actuel. Dans le portrait de cette aristocratie versaillaise qui ne voit pas encore le tremblement de terre qu'est la Révolution qui se lève, la trame rejoint l'actualité, celle des révolutions arabes ou de l'écroulement du système financier. D'ailleurs, ce qui intéresse le cinéaste, c'est moins le fait historique que son portrait en creux, la rupture brutale dans l'histoire qui va voir la fin de l'Ancien Régime. Les adieux à la reine est pour Benoît Jacquot comparable au naufrage du Titanic : "une espèce de navire considéré comme le plus beau bâtiment du monde qui soudain, en une nuit, commence à prendre l'eau puis à couler, en déclenchant une panique formidable".
Comme le rappelle Aurélien Ferenczi dans le numéro 3245 de Télérama, "on sait que, dans son journal intime, à la date du 14 juillet 1789, Louis XVI se contenta d'un mot : "Rien"." C'est ce décalage que filme Jacquot, les quatre premiers jours qui suivent la Prise de la Bastille, durant lesquels Versailles ne se rendit pas tout de suite compte de l'ampleur de l'événement. La caméra suit pendant 1h40 la lectrice de la reine, Sidonie (impeccable Léa Seydoux), groupie de Marie-Antoinette avant l'heure, prête à tous les sacrifices pour contenter son idole. Le cinéaste voulait que la jeune fille entraîne le spectateur avec elle et souligne : "c'est pourquoi j'ai souvent filmé de dos Léa Seydoux, comme si elle entraînait physiquement le spectateur à sa suite". Diane Kruger incarne une Marie-Antoinette faussement gentille et douce (elle masse le poignet "potelé" de sa lectrice) qui trompe son ennui dans la littérature et son "cahier des atours", plein d'échantillons de tissus, comme un ancêtre du magazine féminin. Virginie Ledoyen complète ce triangle en duchesse de Polignac, amie-amante de la reine, défilant dans le château comme sur un podium de mode. Noémie Lvovsky apporte, elle, comme toujours, une sagesse ferme et bienveillante, dans un second rôle remarquable, tout comme Michel Robin. Benoît Jacquot n'aime rien tant que filmer le parcours initiatique d'une jeune fille en fuite, qui avance jusqu'au point de non-retour, dans une certaine forme de violence. Dans un plan-séquence virtuose, Sidonie traverse les couloirs où cohabitent les domestiques et la petite noblesse, comme c'était le cas à Versailles, dont le château est une ville en soi, couloirs en ébullition avec des personnages exsangues qui apparaissent et sortent du champ pendant de longues et sublimes minutes, comme la danse macabre de ceux qui font déjà partie d'un monde déchu.
Comme dans presque tous les films de Jacquot, l'héroïne affronte des épreuves dont elle ne sort pas totalement indemne. Ici, le lectrice court, chute et traverse le Château de Versailles de part en part, à la poursuite de son destin sacrificiel. Le cinéaste aime les actrices et les femmes en général car "c'est un sexe tout à fait différent" déclare-t-il en citant Billy Wilder (Certains l'aiment chaud) et avouant sa fascination pour le "continent noir" freudien. Benoît Jacquot signe là un de ses plus grands films.
...HB...