Critiques ciné et autres.
3 Décembre 2012
Pour son premier documentaire, Sébastien Lifshitz livre avec Les invisibles un film d'une force rare et d'une sensibilité pudique incroyable. Sur le double thème peu vendeur de l'homosexualité et de la vieillesse, il montre des témoignages édifiants, drôles et émouvants. Le documentaire de l'année.
Des hommes et des femmes, nés dans l'entre-deux-guerres. Ils n'ont aucun point commun sinon d'être homosexuels et d'avoir choisi de le vivre au grand jour, à une époque où la société les rejetait. Ils ont aimé, lutté, désiré, fait l'amour. Aujourd'hui, ils racontent ce que fut cette vie insoumise, partagée entre la volonté de rester des gens comme les autres et l'obligation de s'inventer une liberté pour s'épanouir. Ils n'ont eu peur de rien...
Sébastien Lifshitz s'est fait remarquer en 2000 avec un premier long-métrage, Presque rien, sous forme de tragédie amoureuse. Depuis, il faut avouer qu'on avait un peu perdu sa trace. Le réalisateur a fait un retour en force au dernier Festival de Cannes où il présentait son documentaire Les invisibles sur les homosexuels seniors. Le film n'est pas un porte-voix communautaire mais un témoignage politique de ce que fut le combat d'une génération d'homos, assimilés (par la loi) à des malades mentaux jusqu'au début des années 80, et qui ont pris la parole à partir de mai 68. Et également un portrait de la vieillesse, la société ne s'intéressant que très peu aux personnes âgées. Pendant plus de deux ans, le réalisateur a cherché des hommes et des femmes de plus de 70 ans qui accepteraient de raconter leur vie (homosexuelle) face à une caméra.
Sébastien Lifshitz a choisi une dizaine de personnes nées dans l'entre-deux-guerres pour évoquer une génération d'homosexuels "invisibles", rejetés de leur famille, de leur travail, de la société en général. Ces témoignages nous emmènent à Marseille, à Paris, mais aussi dans des villages très ruraux où l'homosexualité reste encore aujourd'hui sujette à débat. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le film montre essentiellement des personnes travaillant avec la nature : berger, éleveur de poussin, agricultrices… Ces personnes supposément "contre-nature" sont ancrées dans la vie, et même jusque dans la vie politique pour certains. Mais pas de prosélytisme ici, juste le récit de combats pour l'égalité, un des trois piliers de la République Française, faut-il le rappeler. Lifshitz revient longuement sur les revendications éveillées après mai 68. "Nous sommes plus que 343 salopes ! Nous nous sommes faits enculer par des Arabes ! Nous en sommes fiers et nous recommencerons !" scandaient-ils alors, aux côtés des "Gouines Rouges" notamment. Ce militantisme exubérant n'a plus court aujourd'hui, mais dans les années 70, les homos étaient des marginaux et devaient en passer par là pour exister aux yeux de la société. "Nous étions des marginaux, et cette marginalité nous donnait une incroyable liberté" se souvient une octogénaire, entre nostalgie et conscience des combats encore à venir.
De ces témoignages drôles et émouvants, on retient des personnes que l'on aime, que l'on admire, qui marquent durablement même (Thérèse d'une part, pour sa liberté, et Monique de l'autre, pour son goût de vivre et son émotion). En ces temps de débats parfois surréalistes sur le mariage pour tous (ou mariage gay), il faudrait organiser des projections des Invisibles partout, non pour convaincre les préjugés les plus stupides ancrés depuis des siècles, mais pour témoigner d'un goût de la vie et de la justice qui ne peut pas laisser indifférent. Les invisibles est un film d'utilité publique.
...HB...