Critiques ciné et autres.
24 Novembre 2011
Robert Guédiguian retrouve une nouvelle fois sa troupe fidèle pour son nouveau film, Les neiges du Kilimandjaro. Le cinéaste revient à ses premières amours : un conte social plein d'humanisme, d'humour et d'émotion qui communique un enthousiasme irrépressible.
Bien qu’ayant perdu son travail, Michel vit heureux avec Marie-Claire. Ces deux-là s’aiment depuis trente ans. Leurs enfants et leurs petits-enfants les comblent. Ils ont des amis très proches. Ils sont fiers de leurs combats syndicaux et politiques. Leurs consciences sont aussi transparentes que leurs regards. Ce bonheur va voler en éclats avec leur porte-fenêtre devant deux jeunes hommes armés et masqués qui les frappent, les attachent, leur arrachent leurs alliances, et s’enfuient avec leurs cartes de crédit. Leur désarroi sera d’autant plus violent lorsqu’ils apprennent que cette brutale agression a été organisée par l’un des jeunes ouvriers licenciés avec Michel.
Depuis plus de trente ans, Robert Guédiguian suit un parcours cinématographique cohérent dans son engagement à gauche et son humanisme militant. De ses 17 films, tous ont été tournés avec sa compagne Ariane Ascaride sauf Le Promeneur du Champ de Mars en 2005 ; ses deux autres complices Gérard Meylan (15 films) et Jean-Pierre Darroussin (13 films) sont aussi de cette nouvelle partie. Les neiges du Kilimandjaro a pour point de départ le poème Les pauvres gens de Victor Hugo. Dans son quartier natal et populaire de l'Estaque, à Marseille, le cinéaste évoque le monde ouvrier et ses difficultés face à la crise, au chômage galopant et à une violence inattendue.
Les précédentes productions de Robert Guédiguian depuis Le Promeneur du Champ de Mars (2005) étaient des films de genre plus ou moins réussis. A part Le voyage en Arménie (2006), il n'avait pas proposé de grand film depuis une bonne décennie. Avec Les neiges du Kilimandjaro, le réalisateur, âgé de 58 ans, revient à l'essentiel avec cette chronique sur l'univers du travail ancré dans un milieu populaire. Le cadre est souvent plein de grilles, de grues, de chantiers, autant de symboles des travailleurs. Pour autant, le film est lumineux et distille un optimisme qui est remarquable compte tenu de la gravité des thèmes abordés. Le trio d'acteurs de Guédiguian a vieilli avec lui, avec la société et ils incarnent des citoyens, des travailleurs qui se sont battus pour leurs idéaux et vont partir en retraite la conscience paisible en espérant que leurs enfants poursuivront le combat. Dans une scène très émouvante et juste, Darroussin est désolé d'être devenu un "bourgeois" qui va à la mer tous les dimanches, est propriétaire et regarde la télévision ; Ascaride lui répond qu'ils sont "bourgeois mais pas trop". Le film est à cette hauteur, à cette humilité, à cette intégrité, à cette incroyable dignité des gens qui ont travaillé pour avoir ce qu'ils ont, cette classe ouvrière aujourd'hui assimilée à des nantis par ceux qui ont encore moins.
Loin des clichés soixante-huitards, Robert Guédiguian donne à voir des valeurs d'honnêteté et de droiture morale rares avec les dialogues didactiques qu'on lui connaît mais aussi beaucoup d'audace quand il traite de la difficulté de s'accrocher à ses idéaux quand le monde nous tire vers nos plus bas instincts. A tout cela s'ajoute un casting grand luxe : Marilyne Canto, Grégoire Leprince-Ringuet, Anaïs Demoustier, Karole Rocher, Julie-Marie Parmentier, Adrien Jolivet, Robinson Stévenin et Pierre Niney en serveur qui lit les âmes dans les apéros.
Robert Guédiguian réussit haut la main un film plein de bons sentiments grâce à une pudeur qui manque terriblement aux fables politiquement correctes et surestimées aujourd'hui (Intouchables ce mois-ci). Ode à la vie et réponse généreuse à l'individualisme ambiant, Robert Guédiguian redonne à savourer une chose rare : le goût des autres.
...HB...