Critiques ciné et autres.
4 Avril 2011
Après l'excellent Une vie à t'attendre (2004) et Le héros de la famille (2006), Thierry Kiifa réalise un troisième long-métrage, Les yeux de sa mère, avec Catherine Deneuve, Nicolas Duvauchelle et Géraldine Pailhas. Visitant encore une fois son thème fétiche des secrets du passé, l'ancien critique de Studio Magazine livre un thriller romanesque convaincant.
Un écrivain en mal d'inspiration infiltre la vie d'une journaliste star de la télé et de sa fille danseuse étoile pour écrire à leur insu une biographie non autorisée. Pendant ce temps, en Bretagne, un garçon de 20 ans, Bruno, qui habite avec ses parents, ne sait pas encore les conséquences que toute cette histoire va avoir sur son existence.
Dans la veine de Pedro Almodovar, Thierry Klifa et Christopher Thompson ont écrit un mélodrame séduisant, trempé de deuils, de non-dits, de secrets, de suspense et de manipulations. Comme le note très justement la critique des Inrocks, Les yeux de sa mère se positionne, à l'instar du récent Un balcon sur la mer de Nicole Garcia (lire l'article du 2 janvier 2011), dans un "cinéma romanesque français qui défendra toujours la croyance en la fiction contre le rétrécissement ricaneur actuel" ; Klifa prouve que le mélodrame français existe bel et bien.
Comme dans son précédent film, Le héros de la famille, avec déjà Christopher Thompson coscénariste ainsi que Géraldine Pailhas et Catherine Deneuve à l'affiche, Thierry Klifa s'intéresse à plusieurs générations qui vont voir leur vie changer suite de la révélation et l'explosion d'un secret de famille. Catherine Deneuve est Lena Weber, présentatrice star du 20 heures (inspirée par Claire Chazal), mère -absente- de Maria Canalès (Géraldine Pailhas, très juste), danseuse étoile qui a abandonné son fils à la naissance vingt ans plus tôt, Bruno (Jean-Baptiste Lafarge, révélation!) vivant dans sa famille adoptive en Bretagne et ignorant tout de son histoire. La seule personne au courant de ce secret est Judit, la nounou fidèle qui a plus ou moins élevé Maria, et interprétée par l'égérie d'Almodovar Marisa Paredes. Nicolas Duvauchelle incarne quant à lui un écrivain qui ne s'est jamais remis de la mort de sa mère, dix ans plus tôt, et qui écrit sous pseudonyme des biographies scandaleuses. Et puis il y a le couple formé par Marina Foïs (exceptionnelle) et Jean-Marc Barr, les parents adoptifs de Bruno.
Dans Le héros de la famille, le cinéaste s'attachait à l'absence du père. Ici, il déclare que c'est la mère qui est omniprésente, qu'elle soit "la mère absente, qui abandonne, la mère de substitution, la mère adoptive… Il y a aussi la mère qui a disparu, la mère morte, la clé du chagrin de Mathieu". Le deuil plane sur le film, spécialement à travers le personnage ambigu de Mathieu (Nicolas Duvauchelle). Thierry Klifa déclare à ce sujet : "On nous explique tout le temps comment on se remet forcément des deuils, des disparitions. Moi, au contraire, je voulais parler du mal qu'on peut avoir à survivre à la disparition d'un être cher, de l'amputation qu'on ressent, de la vie qui, même si elle continue, ne sera plus jamais la même". Il fait alors référence à Claude Sautet et au rôle de Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver : "Quelqu'un qui, tout d'un coup, a décidé de se mettre comme entre parenthèses, quelqu'un qui est absent à lui-même. C'est ce qui est arrivé à Mathieu après la mort de sa mère. Maintenant qu'il a tellement souffert, il se croit à l'abri de tout sentiment". D'ailleurs, le jeune homme continue de vivre dans l'appartement de sa mère sans toucher à la moindre décoration, comme dans un mausolée, à la manière du protagoniste de La Chambre Verte de François Truffaut.
Le personnage de Mathieu va faire le lien entre toutes ces destinées qui ne se croisaient pas ou plus. Ce n'est pas un hasard s'il est l'objet d'une convoitise commune par les trois générations : Lena, Maria et Bruno, dont l'homosexualité est décelable sensiblement et pourtant rapidement mais révélée que de manière tardive lors d'une très belle scène. Thierry Klifa bénéficie d'un casting impressionnant et parfaitement distribué pour servir son film, tour à tour suspense, romantique, violent et en forme de mise en abyme quand il joue avec l'image de Catherine Deneuve notamment en mentionnant son rapport à l'argent, à l'âge, à l'autorité… L'actrice se prête apparemment volontiers à cette insolence.
Dense et soutenu, Les yeux de sa mère est un film de qualité, un film d'auteur au sens noble du terme. Thierry Klifa trace un sillon particulièrement intéressant dans le cinéma français. Avec en prime la sublime chanson Ma fille de Serge Reggiani…
...HB...