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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"Winter Sleep", un film de Nuri Bilge Ceylan - Palme d'or 2014

 

Habitué du Festival de Cannes, Nuri Bilge Ceylan a reçu la Palme d'or 2014 avec son nouveau (très) long-métrage, Winter Sleep. Entre Bergman et Tchekhov, le cinéaste turc livre un film à la beauté bouleversante et qui joue de sa durée pour hypnotiser le spectateur.

 

 

Affiche Winter Sleep


 

Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements...

 

 

 

 


 

Nuri Bilge Ceylan est né à Cannes en tant que cinéaste, sélectionné dès 1995 avec son court-métrage Koza. Il remporte par la suite le Grand Prix par deux fois (Uzak en 2003 et son chef-d'œuvre Il était une fois en Anatolie en 2011 - lire l'article du 14 novembre 2011) et le Prix de la mise en scène en 2008 (Les trois singes) avant d'obtenir la récompense suprême en 2014. Du haut de ses 3h16, Winter Sleep peut faire peur. On ne cachera pas qu'une telle durée passe parfois par quelques moments d'ennui, mais le rythme du cinéaste est tel qu'il autorise ces micro-pauses. Winter Sleep revisite les grands thèmes bergmaniens mais avec l'empathie et la finesse sociologique et psychologique de Tchekhov. Comme pour ses derniers films, c'est le directeur photo Gökhan Tiryaki qui capte la beauté âpre des paysages anatoliens et met en place des lumières magnifiques pour les nombreuses scènes d'intérieur.

 

Aydin (Haluk Bilginer, acteur star en Turquie) est un ancien comédien, riche et cultivé, qui tient depuis de nombreuses années un petit hôtel (nommé Othello !) dans les collines escarpées d'Anatolie, aux côtés de sa jeune femme Nihal (Melisa Sözen, grande révélation) et de Necla, sa sœur récemment divorcée (Demet Akbag). Aydin écrit des livres, des articles et ne se préoccupe pas de la réalité de ses affaires, gérées par le dévoué Hidayet. Sans même s'en rendre compte, il est devenu un tyran domestique et son entourage s'est habitué à courber l'échine, à ne pas contester sa lâcheté, ses idées sur le monde et la morale. Quand un gamin jette une pierre sur sa voiture, pour venger son père, locataire humilié par les hussiers, la tranquillité d'Aydin s'enraille. L'enfant, seul personnage véritablement courageux dans ce film, refusera de tout son corps (dans une scène intense) d'exprimer le moindre regret.

 

Petit à petit, les vérités apparaissent et c'est la sœur qui tire la première. Allongée sur un divan, elle sort son frère de sa séance quotidienne d'écriture pour lui dire ce qu'elle pense de lui et de ses articles. Dans une longue séquence dialoguée, aiguisée comme un couperêt, le frère et la sœur se balancent enfin à la gueule ce qu'ils ont sur le cœur. Puis Nihal, sa femme, si douce en apparence, fera de même, dans d'autres circonstances, ébranlant un peu plus les certitudes de cette homme que personne ne contredisait jusque là. Tous soulignent, d'une manière ou d'une autre, l'aveuglement d'Aydin sur lui-même, mais le cinéaste n'oublie pas de renvoyer la balle à chacun, ramenant les personnages un à un à leur miroir intime. Peut-on, alors, repenser sa vie, à défaut de la recommencer ? La séquence finale, magnifique, laisse place à la nuance et au doute. Nuri Bilge Ceylan n'atteint peut-être pas la perfection (n'ayons pas peur des mots) d'Il était une fois en Anatolie, mais il offre tout de même son "film-monstre", bouleversant, magnifique et éprouvant, rythmé par une sonate de Schubert.

 

 

...HB...

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