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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"Sud Eau Nord Déplacer", un film de Antoine Boutet

Le documentariste Antoine Boutet s'est intéressé à un projet titanesque au cœur de la Chine pour son nouveau film, Sud Eau Nord Déplacer. Un film à l'esthétique soignée et au discours implacable sur l'absurdité d'un système politique et une aberration environnementale.

"Sud Eau Nord Déplacer", un film de Antoine Boutet

Le Nan Shui Bei Diao – Sud Eau Nord Déplacer – est le plus gros projet de transfert d’eau au monde, entre le sud et le nord de la Chine. Sur les traces de ce chantier national, le film dresse la cartographie mouvementée d’un territoire d’ingénieur où le ciment bat les plaines, les fleuves quittent leur lit,  les déserts deviennent des forêts, où peu à peu des voix s’élèvent, réclamant justice et droit à la parole. Tandis que la matière se décompose et que les individus s’alarment, un paysage de science-fiction, contre-nature, se recompose.

 

 

Le projet Nan Shui Bei Diao ("Sud Eau Nord Déplacer") est un chantier incroyable, pensé depuis plusieurs décennies et qui ne sera pas achevé avant 2050. La Chine, d'une superficie de 9,6 millions de km², possède des ressources d'eau considérables. Mais sa très forte population (1,3 milliard d'habitants) en fait un pays aux disponibilités finalement limitées. Le nord du pays manque terriblement d'eau (notamment autour de Pékin, ville surpeuplée) contrairement au sud. Dès 1952, Mao Zedong émet l'idée d'un transfert d'eau du sud au nord, mais ce chantier titanesque ne sera validé qu'en 2002, pour un coût estimé à 80 milliards de dollars. Mais ce "Nan Shui Bei Diao" pose de gros problèmes environnementaux et sociaux, avec plus de 350 000 personnes déplacées, sans vraiment d'indemnisation. Dans une Chine dirigée d'une main de fer par le Parti Communiste, quelques voix, courageuses, s'élèvent contre cet aberrant projet, mais peut-on lutter face à un gouvernement qui se comporte comme un rouleau compresseur. Alors que le communisme signifie, au départ, une société sans Etat, le film souligne que le Chine aujourd'hui est "un Etat sans société."

 

Antoine Boutet choisit une esthétique proche, parfois, de l'installation vidéo, avec des paysages d'une grande beauté, notamment dans les vingt premières minutes, muettes, uniquement composées de plans contemplatifs qui observent le chantier le long du fleuve. Le cinéaste joue sur les échelles, les ouvriers minuscules dans un chantier à l'immensité presque surréaliste. Il souligne : "Le rapport d'échelle décrit bien la place de l'individu dans le système chinois : on ne s'oppose pas au pouvoir d'Etat. Dompter les fleuves, organiser la nature, c'est tenir le pays." Comme dans cette scène démente où l'ingénieur en chef hurle, littéralement, sur des hommes qui viennent se plaindre d'avoir été déplacé sans préavis et sans consultation, récupérant des terres parfois inexploitables. Des panneaux publicitaires prolifèrent dans les environs de Pékin, inondant de propagande le peuple présent et vantant les mérites (dont on peut douter) de ce projet hydraulique. Les images majestueuses sont ponctuées de témoignages des villageois déplacés et d'opposants politiques, dont certains ont passé une partie de leur vie en prison pour leurs propos. Au fur et à mesure de sa remontée des fleuves, le réalisateur arrive à leurs sources, au Tibet, surnommé "le château d'eau de l'Asie". Les mots sages d'une poétesse et la beauté des drapeaux opposant leurs prières à la violence du régime donnent alors au film une nouvelle poésie, entre contemplation et prise de conscience politique.

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