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Un cinéphile dans la ville.

Critiques ciné et autres.

"Mektoub my love", un film de Abdellatif Kechiche

Cinq ans après la tornade La vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche livre un nouveau film-fleuve, Mektoub my love (Canto Uno). Avec un casting incroyable, le cinéaste, encore meilleur à chaque métrage, signe un chef-d’œuvre qui célèbre la jeunesse, la sensualité et une certaine nostalgie de l’insouciance.

"Mektoub my love", un film de Abdellatif Kechiche

Sète, 1994. Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance. Accompagné de son cousin Tony et de sa meilleure amie Ophélie, Amin passe son temps entre le restaurant de spécialités tunisiennes tenu par ses parents, les bars de quartier, et la plage fréquentée par les filles en vacances. Fasciné par les nombreuses figures féminines qui l’entourent, Amin reste en retrait et contemple ces sirènes de l’été, contrairement à son cousin qui se jette dans l’ivresse des corps. Mais quand vient le temps d’aimer, seul le destin – le mektoub – peut décider.

 

 

Personnage controversé, Abdellatif Kechiche n’en est pas moins un immense cinéaste. En 2013, sa Palme d’or La vie d’Adèle frappait fort et révélait Adèle Exarchopoulos, comme L’esquive avait révélé Sara Forestier et La graine et le mulet Hafsia Herzi. Dans Mektoub my love, c’est le jeune Shaïn Boumedine qui crève l’écran mais l’acteur n’est pas seul à se démarquer de ce film choral et hédoniste : ses partenaires (Ophélie Bau, Lou Luttiau, Alexia Chardard ou Delinda Kechiche, la sœur du réalisateur, et Hafsia Herzi, de retour en tante amusante et protectrice) sont fabuleuses également. Le film est une libre adaptation du récit autobiographique de François Bégaudeau La blessure, la vraie, paru en 2011 et situé en Vendée dans les années 80. Kechiche déplace l’intrigue à Sète en août 1994 et se projette sans nul doute dans le personnage principal, Amin, apprenti photographe et cinéaste en herbe timide mais au regard déjà percutant.

 

Le film qui a révélé Kechiche (L’esquive) tournait autour de Marivaux et il y a ici, quinze ans plus tard, comme un rappel, une touche de marivaudage dans les relations entre ces jeunes passant l’été sous le soleil écrasant du sud de la France, venant de tous horizons géographiques (Sète, Paris, Tunis, Nice) et sociaux et découvrant les affres du désir et de la sensualité. Ce n’est pas un hasard si la musique d’ouverture est Exsultate, jubilate de Mozart (« Exultez, réjouissez-vous »). Pendant près de trois heures, entre baignades, sorties en boite, flirts, déconvenues, rencontres éphémères ou non, cette jeunesse jouit de tous les plaisirs. La vie déborde, on parle fort, on s’engueule, on se trahit, on s’aime, on s’étreint, on plonge dans l’ivresse… Le film, d’une vitalité incroyable, célèbre les corps filmés au plus près, avec la passion de Kechiche pour les femmes callipyges (on se souvient du choc de Vénus Noire, son film maudit) cadrées en contre-plongées qui pourraient être voyeuristes si elles n’étaient pas si poétiques.

 

Filmer la vie, telle semble être l’ambition – démesurée – d’Abdellatif Kechiche, saisir l’insaisissable avec sa caméra (comme Amin avec son appareil photo). Même (et peut-être surtout) quand rien ne se passe, le réalisateur parvient à capter l’essentiel, jouant encore et toujours avec ce qui le passionne : le corps et le langage, dans un rapport généralement conflictuel. En perpétuel mouvement, la caméra embras(s)e les acteurs, y compris dans les moments de silence, de « rien », de vie sans événement qui vient relancer une intrigue. Au cœur de ce bijou, quelques séquences marquent particulièrement comme cette scène d’une brebis mettant bas, observée et photographiée par Amin, accompagnée d’une musique sacrée, mélangeant ce qu’il y a de plus organique (l’agneau surgissant des entrailles) et de plus mystérieux (l’apparition de la vie). Immédiatement après, sans transition ni effet de montage, comme pour enchaîner le sacré et le profane, Amin se retrouve dans une boite de nuit où les corps exulteront jusqu’à l’excès. La dernière séquence, d’une grande douceur, rayonnante comme rarement chez Kechiche, nous laisse espérer un « canto 2 » pour que cet été ne s’achève jamais vraiment.

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